Nord du Laos
Ça fait longtemps que l'on ne s'est pas parlé. Voici en vrac ce qui s'est passé.
Les touristes abondent à Luang Prabang, le joyau du Laos. Un expatrié Français nous explique que la ville, surtout depuis son entrée au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1995, change radicalement : on nettoie, on balaie, on pave les rues, on interdit les coqs, les restaurants se multiplient, les hôtels aussi. On purifie, on européaméricanise. C'est ce qui plaît aux touristes, non?
C'est peut-être ceci qui inconsciemment nous a enfin permis de prendre une décision sur la suite du périple et de quitter Luang Prabang. Autour d'une table, nous jasons avec nos nouveaux amis, un groupe de joyeux lurons avec qui nous partageons la route depuis quelques jours : Juva, un Italien vivant au Népal, Mélanie, une Française toujours enjouée, Pauline, qui termine un long voyage d'un an, Karen, une sud-africaine énigmatique et Carlos, un Espagnol aux cheveux longs, petit sac mauve et gros étui de sitar. Eux aussi avaient de la difficulté à établir la suite de leur trajet et ont opté pour le même chemin que nous probablement parce que nous sommes très attachants.
Dans tous les cas, ce fut difficile de quitter l'ambiance confortable et la nourriture délicieuse de Luang Prabang, surtout si tôt le matin. Nous voilà dans le bus, les places sont presque toutes déjà prises, nous nous ramassons dans les plus reculées, là où dos-d'âne devient dos-de-dromadaire, bien assis sur le moteur brûlant. La route est cahoteuse et extrêmement poussiéreuse. Un smog se crée dans l'enceinte du véhicule. La fenêtre fermée ou pas, il n'y a aucune différence, car la porte avant du bus reste grande ouverte. Nous passons plusieurs villages encrassés de ce qui était la route. Les maisons et les arbres sont emmitouflés dans la matière sèche et malgré tout, les habitants continuent d'étendre leur linge au bord de la voie.
Je me gratte les yeux, j'éternue une couple de fois et cinq heures plus tard, nous arrivons à Sainyabuli, c'est ordinaire et il n'y a rien à faire.
Par conséquent, le lendemain, nous nous ramassons dans le sãwngthãew d'un gars qui livre de la beerlao, ce qui veut dire dans la boîte d'un pick-up, chargée de caisses de bières entre les bancs en bois, au nom qui s'écrit comme un pet mouillé. La route est aussi poussiéreuse mais, on en ressent moins les effets contrairement à ceux que l'on dépasse.
Suite à deux jours d'attente, des litres de café glacé et une tentative de bateau-stop qui tombe à l'eau, nous prenons enfin place dans une embarcation. Après qu'un policier ait évidemment essayé de nous soutirer de l'argent en apposant une étampe inutile sur notre billet, un gars avec un pad et des Ray-Ban - le capitaine - démarre le moteur. Notre dernier trajet au Laos s'entame, direction Vientiane, la capitale et pas par n'importe quel fleuve : le légendaire Mékong. Des bananes gracieusement offertes par une gentille dame, une motte de riz collant, le trajet de huit heures se révèle plus long que je pensais. Le banc de plastique rigide commence à me faire virer fou, plus aucune position n'est confortable.
Je me replace, je m'assois normalement et tout d'un coup, je n'ai plus mal. Comme quoi la notion d'inconfort est relative. Et partir du Laos - et de l'Indochine - sans avoir navigué sur le Mékong était hors de question. Ça fait partie des rêves mouillés de voyageurs comme le Transsibérien, traverser un océan en bateau ou passer le plus au col carrossable du monde.
-Will