Dans ce métier il y a de petites satisfactions qui font que l'on tient le coup pour la suite. Ainsi des élèves qui vous disent merci après un cours ou, sans qu'il y ait de remerciement, ce sentiment du travail bien accompli, cet après-cours où vous savez que vous avez réussi à faire passer et comprendre plutôt bien des notions ou/et des mécanismes complexes. Ainsi aujourd'hui, en terminale, sur les notions de rentabilité économique et rentabilité financière. Quand les élèves viennent vous voir à l'intercours pour avoir une précision, vous posent une question sur ce qui vient d'être fait, en somme des élèves qui restent dans la salle de cours et veulent continuer la réflexion entamée lors de la première séquence. Là vous savez que vous tenez un instant précieux. Vous pouvez le ressentir aussi pendant le cours quand vous sentez que vos mots, vos paroles, s'inscrivent dans un mouvement, une dynamique qui va de vous à eux et de eux à vous. Il m'arrive encore de ressentir celà sous la forme d'un frisson.
Dans ce métier il y a aussi des sentiments terribles d'échec ou/et d'impuissance qui font que vous voulez en finir si vous êtes dans un mauvais jour. Il y a aussi des éléments qui font que dans ce métier il n'est jamais possible de s'endormir complètement sur ses lauriers. Ainsi ce mercredi, en TPE, un groupe d'élèves (3 filles) face à ma collègue d'histoire-géographie et à moi-même. Ce groupe n'avance pas, a déjà changé deux fois de sujet, n'arrive pas à comprendre ce qui est demandé. Ma collègue fait une remarque à l'une de ces élèves, lui signifiant qu'elle n'a pas l'air très impliquée, qu'il faudrait s'y mettre, etc. Et l'élève ainsi mise en question de réagir, dans une plainte à vous briser, qu'elle n'y comprend rien et d'ajouter que c'est le cas dans mon cours.
- Je ne comprends rien de rien à ce que vous racontez dans vos cours, Monsieur...
- Rien de rien ? je demande effaré.
- Rien...
Et là je me dis que j'ai bien sûr repéré les difficultés de cette élève avec une première note très basse, et une attitude de retrait pendant les cours. Mais ici, à cet instant de confidence, je vois bien son désespoir et surtout la spirale négative dans laquelle elle s'est enfermée : je n'y comprends rien, je me mets en fond de classe, c'est pas la peine d'essayer, etc. J'ai certainement sous estimé l'ampleur du problème. Je commence à me dire que décidément je ne suis plus armé pour ces putains de classes de première, que moi il me faut des élèves déjà "dégrossis", que l'initiation ce n'est pas mon "truc"... Je pose alors la question qui m'angoisse :
- Vous ne comprenez rien seulement dans mon cours, ou c'est partout pareil ? (Allez, fais-moi plaisir, dis-le que c'est partout pareil, dis-le bon sang !)
- C'est partout pareil...
- (Ouf !), lache-t-il intérieurement (lache est bien le mot)....
Il n'empêche que depuis, je m'efforce de prendre le pouls de cette élève. Il ne bat pas très fort mais il bat et surtout je ne le laisse plus s'arrêter. Je relance son activité le plus souvent possible. Mais il y a trente élèves et une seule élève ne saurait accaparer toute l'attention... Alors cette relance, pour l'intant régulière, ne saurait durer éternellement...
C'est donc peut-être là, la seule véritable utilité pédagogique des TPE. Par ces petits rendez-vous qui ont lieu chaque semaine, avec chacun des groupes pour un dialogue circonscrit au groupe, on prend davantage la mesure de chacun des élèves, de sa personnalité, de ses travers et de ses qualités, de son caractère même, ce qui n'est guère possible dans une classe de 30 élèves ou même en TP (travaux pratiques) quand il n'y a qu'une demi-classe.