Depuis quelques jours, les internautes français peuvent participer au débat public national sur les nanotechnologies.
Pour les non initiés, les nanotechnologies concernent "la conception, la caractérisation, la production et l’application de structures, dispositifs et systèmes par le contrôle de la forme et de la taille à une échelle nanométrique".
Si le sujet est donc ardu pour le commun des mortels, cette utilisation de l'infiniment petit trouve des applications concrètes dans de multiples aspects de la vie quotidienne : produits chimiques, vêtements, cosmétiques ou encore dans le domaine médical.
De l'avis de nombreux experts, les nanotechnologies amènent la science aux frontières de la connaissance. Si les bénéfices (notamment en matière de santé) sont évidents, on mesure encore mal les risques : "A l'échelle du nanomètre, les propriétés de la matière changent. C'est ce qui donne aux nanomatériaux des qualités de résistance, de dureté, de flexibilité, d'adhésion ou de répulsion recherchées par les industriels. Mais c'est aussi ce qui les rend plus réactifs. Or, du fait leur taille minuscule, ces particules sont susceptibles de pénétrer sous la peau et, en cas d'inhalation ou d'ingestion, de franchir les barrières intestinales, hématoencéphalique et placentaire qui protègent l'organisme." expliquait récemment un article du Monde.
Bref, la question des nanotechnologies est un débat complexe, par nature peu accessible au commun des mortels, dans lesquels intérêts économiques, scientifiques et politiques s'entremêlent.
De son côté, l'opinion française, profondément marquée par les affaires du sang contaminé, de la vache folle ou de l'amiante, est aujourd'hui méfiante.
De fait, les oppositions sont nombreuses. L'association Vivagora est notamment la plus active sur le sujet depuis de nombreuses années. Les questions posées sont souvent les mêmes que celles adressées aux OGM : manque de transparence, pression supposée des lobbys industriels, ... Une opposition systématique et idéologiquement colorée qui n'est pas non plus un gage de neutralité absolue mais qui a le mérite de placer le sujet sur la place publique numérique.
Pour avoir une idée des principaux enjeux, voir cet article complet sur InternetActu.net.
Face aux sceptiques, un grand débat national
Pour faire face à se scepticisme, l'Etat a décidé d'organiser un grand débat public. Ce débat, puisqu'il est présenté comme tel, s'appuie sur des réunions "physiques" dans 17 grandes villes, et sur un espace dédié pour le débat.
Dans une interview accordée au Monde, Jean Bergougnoux, ancien directeur général d'EDF et ex-président de la SNCF, le directeur de ce débat ne s'en cache pas : il mise beaucoup sur ce débat online pour toucher le plus grande nombre et élever le niveau global de connaissance des français sur le sujet. A la question du journaliste l'interrogeant sur le risque de voir le débat confiné aux "experts" (associations, scientifiques, industriels), le directeur nous interpelle sur le rôle presque miraculeux que doit jouer le web : "Nous misons aussi beaucoup sur notre site Internet. Nous pensons toucher ainsi plusieurs centaines de milliers de personnes. Par son ampleur, cette expérience de démocratie participative est une première.".
L'idée est de faire remonter une synthèse auprès des ministères concernés. Ceux-ci, nous explique Jean Bergougnoux, "auront alors trois mois pour faire connaître les suites qu'ils entendent lui donner.". Si l'initiative semble louable et pleine de bonnes intentions, les objectifs paraissent donc un peu flous. Informer, influencer la politique gouvernementale (qui a déjà engagé 70 millions d'euros, ce qui est peu au regard des enjeux industriels), débattre ... tout cela alors que les nanotechnologies sont déjà présentes dans notre vie quotidienne depuis longtemps.
La manière dont est organisé et lancé ce débat amène plusieurs remarques.
D'abord, on peut souligner que le plan de communication autour du débat n'a rien d'impressionnant. Pas de radio, peu de publicité... Sans doute des contraintes budgétaires mais qui permet aux opposants de s’insurger facilement sur les objectifs réels : « Pour exemple à Toulouse l'info a été communiquée par une affichette collée une heure avant le démarrage dudit débat à l'Arche Marengo dans un lieu bien à l'écart. Le débat qui n'en n'est pas un est juste là pour faire passer le message que bientôt nous allons manger des nanos à toutes les sauces. » s’énerve un internaute sur le site officiel.
De plus, lorsque l'on se penche sur le site du débat, on peut craindre que le débat ne se fasse ailleurs.
Au delà d'une ergonomie peu enviable, on comprend assez rapidement que le débat est orienté dans un sens précis. Si l'internaute curieux souhaite s'informer et se faire un avis, il a accès à une "base de connaissance" impressionnante de plusieurs centaines de pages entièrement consacrées à valoriser l'énorme potentiel des nanos et dans laquelle on trouve à peine ... dix lignes sur les risques liés à ces technologies !
Après s'être fait un avis, l'internaute peut poser des questions et contribuer (téléphone, courrier et email ou via formulaire) et surtout participer de façon « libre ».
Las, de puis le début du débat, le 14, on note en tout et pour tout une cinquantaine d’avis publiés (le nombre attribué à chaque contribution laisse penser que plusieurs n’ont pas passé le filtre de la modération). Chose amusante, l'une des contributions est semble t-il issue de Mars Chocolat Europe qui explique qu’elle "n'emploie aucune nanoparticule dans ses fabrications industrielles." (l'accusation avait été formulée par le Canard enchaîné il y a quelques semaines). Mais à part cela, aucun risque !
Quelques dizaines de contributions tout au plus à date : on est loin, malheureusement, des ambitions affichées par l'organisateur et de l'expérience démocratique unique en son genre.
Il est à craindre que le débat sur les Nanos ne soit plus "déceptif" qu’autre chose. Il est par exemple particulièrement dommage de ne pas pouvoir lire les questions des autres internautes (le processus se fait par formulaire) ou d’avoir un système de hiérarchisation des avis/questions, facilitant la lecture et le tri. Les processus d'apprentissage collectif fonctionnent mieux en voyant ce sur quoi les autres s'interrogent.
Autre point, espérons qu’un blog sera rapidement mis en place (à l’image de ce débat local) afin de servir de fil rouge, de guide, tout au long des débats.
Le débat se fera ailleurs... ou pas !
En toute logique, les commentateurs et opposants eux, ne sont pas muets. Citons Agoravox par exemple qui explique vouloir "couvrir les réunions publiques qui se dérouleront près de chez vous (et) faire connaître votre avis et vos arguments". A n'en pas douter, le débat sera plus animé que sur le site officiel. De son côté, Rue89 appelait à boycotter le débat public, au motif que ce n'est qu'un simulacre de démocratie. Les nombreux commentaires se focalisent en particulier sur les modalités de débat.
En réalité, et en dehors de toute considération sur le fond (risque/opportunité des nanos, principe de précaution/principe de réalité économique), il est clair que ce débat risque d’être mort-né, en tout cas sur le site officiel. Assez complexe pour freiner les ardeurs du grand public, ce "débat" sera trusté par deux blocs qui s'opposeront, souvent sans nuance, en copiant des argumentaires pré-existants.
L'expérience du Grenelle
L'expérience du Grenelle de l'environnement en 2007 est à ce titre éclairante. Les milliers de contributions d'internautes ne témoignaient pas d'une expertise collective. Les débats entre experts avaient eu lieu à huis-clos durant plusieurs semaines. Les internautes pouvaient ensuite réagir aux conclusions via forum.gouv (un livre blanc avait d'ailleurs été publié à partir des milliers de contributions), et surtout s'informer, comprendre et s'intégrer dans un processus global dans lequel toutes les voix (ou presque) s'étaient exprimées. Surtout, la communication gouvernementale faisait de ce "moment participatif" un véritable temps fort du Grenelle, en y mettant les moyens, sur le web et ailleurs.
On peut d'ailleurs estimer, même si aucune étude à ma connaissance n'existe sur le sujet, que la prise de conscience progressive au sein de l'opinion sur les questions environnementales aux cours des dernières années est en partie liée à cette expérience du débat du Grenelle (sans être naïf bien-sûr sur la réalité de la prise de décision in fine).
Au final, sur ce genre de sujet, on peut se demander si l'intérêt n'est donc pas moins d'influencer la décision politique que d'élever le niveau global de connaissances des internautes/citoyens. Du point de vue de nos gouvernants, l'essentiel n'est-il pas d'éviter que l'opinion ne se laisse happer par les discours alarmistes (voir sur ce sujet le billet de Jean-Laurent Cassely sur Slate.fr) ?
Nous allons néanmoins en suivre de près le déroulement et un billet de bilan sera proposé à la fin des débats. Pour les très courageux, voir cette vidéo du Cea "Comment faire des nanotechnologies une affaire publique ?".