Difficile de prendre ça mou quand les temps sont durs.
La semaine dernière, j'ai passé le cap des 17 ans sur la route. Jamais une année n'a été à ce point tranquille. On tente de rester patient et philosophe, mais y'a des soirées où le goût de tout plaquer se fait sentir.
Dimanche dernier par exemple, je tourne pendant près de deux heures avant de me convaincre d'aller attendre sur un poste. Au moins là, je ne brûlerai pas d'essence pour rien. Patiemment, j'attends encore près d'une heure. Lentement, j'avance premier dans la file et j'attends encore et encore. Finalement, on appelle enfin le poste. Je note l'adresse qu'on me donne et démarre le taxi pour me rendre compte que la batterie est à plat. Je perds l'appel et perds encore de nombreuses minutes à attendre qu'un confrère avec des câbles à survoltage daigne venir m'aider. Je lui donne 10$ et me retrouve encore là, à plat.
Quelques minutes plus tard, une passagère se présente et veut que je la conduise à quelques blocs. Elle aurait bien marché, mais elle a mal à un pied. Je suis loin de prendre le mien quand elle me donne à peine 15 sous de pourboire. Résultat pour les dernières trois heures et demie, 3 dollars dans le rouge.
Le reste de la nuit va aller dans le même sens. Je vais me faire passer un faux 20$, une femme va me raconter une salade toute garnie pour ne pas me payer, les appels se feront rares et se feront voler par des confrères affamés. La joie...
Hier soir j'ai fait 30 dollars pour 10 heures de travail. Je me demande parfois si ce ne serait pas plus payant pour moi de me trouver un coin de rue pour mendier.
Mais bon, quand je vois la file d'attente pour la soupe populaire au carré Berri qui s'allonge jour après jour, je réalise que je suis encore privilégié de faire la rue bien au sec. Je tente de me convaincre que le meilleur reste à venir et que l'hiver qui s'en vient va m'apporter un peu plus de beurre sur le pain.
Je pense aussi à ces Êtres qui le passeront dehors.
Ça aide à passer à travers la nuit.