Quelques mois déjà que j’ai entamé l’épais bouquin qui rassemble les nombreux articles publiés par Jean Rolin de 1980 à 2005. Pendant de ses romans, on y retrouve ce mélange de journalisme et de fantaisie romanesque, cet humour au détour de phrases, l’expression précise et les dérives de la narration ambulatoire. Je trouvais quelque chose dans le ton, dans la dérision sérieuse, l’allure parodique, qui me rappelait les Chroniques qu’Allexandre Vialatte publiait dans la Monagne. Chroniques dont je m’étais fait offrir le double recueil, découvrant que Desproges le citait comme grand maitre, et buvant alors l’acidité de la haine ordinaire. C’est à cette époque aussi que j’achèterais le Procès découvrant dans la notice de présentation des Chroniques que Vialatte avait traduit Kafka et ainsi introduit. Retournant le livre dans le rayon, je me rappelle avoir été interpelé par la quatrième de couverture : un gilet muni d’autant de poches ne pouvait être qu’utile, mais à quoi ? Mais je le lirais plus tard, dans ces années lycée je vivais à l’écart des livres et ce n’est qu’une fois quitté le carcan scolaire, le bac en poche, que je commencerais à en empoigner quelques uns, et d’abord Nietzsche pendant les vacances d’été. C’est plus tard encore que je m’intéresserais un peu spécifiquement au paysage, voulant trouver le lien qui l’uni à la peinture et me détachant moi-même de la représentation des figures, les trouvant toujours trop anecdotiques et leur préférant l’aspect contemplatif de vues dépeuplées. Il n’en fallait à vrai dire pas plus qu’un article sur le paysage sous l’impulsion de Vialatte pour que je décide de citer ici longuement le Rolin reporter en incitant à aller lire la suite.
Comme dirait Vialatte : le paysage remonte à la plus haute Antiquité, et même bien au-delà.jadis, à l’image des gens qui l’ordonnaient, le paysage français était noble, c’est-à-dire essentiellement rural, jalonné de repères du plus bel effet, d'ailleurs très espacés, et d’une signification évidente pour tout le monde, excepté peut-être les idiots de village qui cependant faisaient eux-mêmes partie du paysage.
A gauche, des déserts, des chaos, des gouffres d’une sauvagerie et d’une profondeur dont nous n’avons plus aucune idée, tout cela effroyable et donnant le frisson ; à droite, d’aimables bosquets, des prairies moelleuses, des frais ombrages, des rivières et des sources dont les eaux désaltéraient des bergères, des moutons, des loups volontiers bavards et même sentencieux, des personnages mythologiques et parfois quelques comédiens ambulants. Au milieu, des aqueducs, des châteaux, des temples ou des cathédrales, des villes sagement contenues à l’intérieur de leurs remparts, généralement plantés d’arbres afin que l’on pût commodément s’y promener le soir.Lorsque l’Etat, incarné dans la personne du roi, décidait de grands travaux, le résultat était toujours d’un goût exquis : ainsi le canal du Midi, la corderie de Rochefort, ou les fortifications en étoile déployées par Vauban autour de nombreuses villes exposées à la convoitise de nos ennemis.
La première brèche dans le paysage fut ouverte par le sentiment de la nature, dont l’homme s’était très bien passé jusque-là, ne désirant pas dans l’ensemble en connaitre plus long que ce que donnaient à voir les tableaux du Poussin et quelques lettres choisies de la marquise de Sévigné. (…)