Le Conseil d’Etat a rejeté le recours en cassation de Mme Agathe Habyarimana contestant le refus d’octroi du statut de réfugié par la Commission de recours des réfugiés (CRR - désormais Cour nationale du droit d’asile), car il y a des raisons sérieuses de penser qu’elle a commis un crime au sens des stipulations de la convention de Genève par son implication dans la préparation du génocide rwandais. Il a pour cela fait application de la clause d’exclusion du statut de réfugié de l’article 1er F de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et, s’agissant de la protection subsidiaire, de l’article L. 712-2 du CESEDA.
Il s’agit de la veuve du président rwandais Juvénal Habyarimana, tué le 6 avril 1994 dans un attentat qui est considéré comme le facteur déclenchant du génocide perpétré au Rwanda d’avril à juillet 1994. Alors qu’elle vivait en France depuis plusieurs années, elle sollicita le statut de réfugié, et subsidiairement la protection subsidiaire, auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui lui refusa. Cette décision fut confirmée par la CRR par décision du 15 février 2007.
En sa qualité de juge de cassation des décisions de cette juridiction administrative spécialisée, le Conseil d’Etat rejette la requête en 3 temps :
1. D’abord, il écarte les différents moyens sur la régularité de la décision rendue par la CRR, en estimant que la commission « n’a pas méconnu les droits de la défense » ni rendu une décision irrégulière.
2. Ensuite, il se penche, pour les rejeter, sur les différents moyens tirés d’erreurs de fait ou de dénaturation en estimant que :
- la Commission n’a pas fait reposer sa décision sur des faits matériellement inexacts en considérant que le génocide avait été planifié par les plus hauts responsables du parti au pouvoir avant 1994 et que sa préparation avait commencé dès 1990.
- l’appréciation que porte la Commission sur « un contexte historique et sur le comportement des acteurs » relève de son appréciation souveraine du dossier qui ne peut être discutée en cassation, hormis dans le cas où elle repose sur une dénaturation. Or, en l’occurrence, la Commission n’a pas dénaturé les faits en estimant notamment que les agissements du gouvernement rwandais avant 1994, notamment son implication dans des massacres à partir de 1990, le climat d’impunité généralisée dans lequel il a laissé agir les groupes les plus extrémistes et la propagande qu’il a menée à l’encontre de la communauté tutsi, alors même que les partis ou mouvements liés aux Tutsis ont pu également commettre des exactions contre les Hutus et que des négociations conduisant à des accords de paix ont pu également être conduites, constituaient des « indices suffisants » pour estimer que le génocide avait été préparé dès avant 1994 par les plus hauts responsables du régime au pouvoir.
- il n’est pas matériellement inexact d’affirmer que la requérante a joué un rôle central par sa position dans la préparation et de l’exécution du génocide, même si elle a quitté le Rwanda dès le 9 avril, soit 3 jours après son déclenchement, compte tenu de son implication antérieure. La Commission a pu, pour l’établir, se fonder sur « un ensemble de pièces nombreuses » dont plusieurs jugements du tribunal pénal international pour le Rwanda sur « la préméditation et la réalité du génocide ».
- Plus globalement, le Conseil d’Etat estime que la CRR a énoncé de « manière détaillée et abondante » les motifs fondant sa décision d’exclusion.
3. Enfin, le Conseil d’Etat estime que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant le moyen inopérant, à le supposer établi, tiré de ce que la requérante n’aurait pas exercé de fonctions officielles et ne ferait pas l’objet de poursuites et en faisant jouer la clause d’exclusion alors même que ses craintes personnelles et actuelles en cas de retour au Rwanda pouvaient être tenues pour fondées.
Il est néanmoins rappelé que la décision de la CRR, qui ne se prononce que sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire, « n’a par elle-même ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France ni de fixer le pays de destination où il devrait le cas échéant être reconduit ». Les moyens tirés de l’atteinte aux articles 8 et 3 de la CEDH sont donc inopérants contre cette décision.
Conseil d’Etat, 16 octobre 2009, Mme H., n°311793 :Communiqué de presse du Conseil d’Etat
Actualités droits-libertés du 19 octobre 2009 par Serge SLAMA
- “Agathe Habyarimana, une hôte encombrante“, RFI, 24/09/2009