Pour reprendre la désormais célèbre citation de Benjamin Bayart [1], « L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire ».
Certes, mais entre temps la télévision française est arrivée, qui lui a aussi permis de regarder des discours de Nicolas Sarkozy et de découvrir le monde au moyen de documentaires fascinants comme l’Ile de la Tentation.
Pour ceux qui vivent avec leur temps et ne lisent plus de livres parce que c’est terriblement dépassé, mais ne vont pas sur internet parce que c’est, malgré tout, la plus grande saloperie que l’homme ait jamais inventée, la télévision est et restera l’outil de choix pour faire leur éducation et informer leur opinion. En un mot devenir de meilleures personnes.
A travers des codes normalisés, elle facilite une instruction homogène de la population et fournit un socle commun de connaissances indispensable à la vie en bonne intelligence harmonie intelligence avec ses commensaux. Ce sont d’ailleurs ceux-ci, indice révélateur de la nature démocratique et égalisatrice de la télévision, qui assurent un examen en contrôle continu des citoyens au moyen d’interrogations surprise à la pause café, dans la cour de récréation ou dans le RER du matin, en général annoncés par la formule générique « T’as vu hier soir ? ».
Et gare à ceux qui regardaient ailleurs hier soir et répondent de travers : les redoublants finissent par bouffer seuls à la cantine, ce qui est très très humiliant.
- La télévision, c’est bête, mais on s’y attache.
Pour éviter une telle fracture dans notre société parfaite, il faut donc impérativement pallier l’éventuelle absence de télévision chez les Français. L’Etat n’a aujourd’hui d’autre choix que de se rabattre sur des moyens de diffusion de l’information présents sur tout le territoire, en l’occurrence les tuyaux d’internet.
L’exploitation de cet outil ne signifie pas pour autant que le gouvernement approuve le contenu sordide d’internet [2]. Comme pour tous les outils, le résultat dépend de l’intention de l’utilisateur. Si enfin on se décidait à abandonner la rétrograde neutralité du net en permettant aux entreprises d’aller jusqu’au bout de leurs rêves et d’offrir à leurs clients leur vision d’un monde meilleur, et uniquement de celui-ci, internet serait un endroit vachement plus moral, droit et sûr.
- Les écrans bidirectionnels sont malheureusement du ressort de la science-fiction, alors il faudra se rabattre sur internet.
Dont acte. Toujours prêt à donner un coup de pouce aux entreprises innovantes, le FSI a décidé d’investir 7,5 millions d’euros dans Dailymotion à l’occasion de son dernier tour de table, gagnant dans le même temps un fauteuil à son conseil d’administration.
L’échange de bons procédés entre Dailymotion et l’Etat n’est pas nouveau : le directeur des contenus du site de partage de vidéos vient du ministère de la Culture, alors que son prédécesseur a rejoint Matignon pour devenir conseiller chargé de la presse.
Ce qui nous fait donc deux fauteuils, deux et demi, voire une chauffeuse et un repose-pieds assorti.
Internet, l’information, Dailymotion et l’UMP l’Etat constituent un quarté gagnant éprouvé, que ce dernier investissement vient encore renforcer.
La prochaine fois que son système de télédiffusion favori changera de norme, le Bravepatriote pourra cliquer en toute confiance, en sachant que ses impôts - ou ceux qu’il paiera encore dans vingt ans, quand il aura fini son Crédit Lyonnais - lui permettent de s’aventurer en toute sécurité sur des autoroutes de l’information balisées en d’autres lieux et d’autres temps par de grands aventuriers de la connaissance comme Arlette Chabot et Jean-Pierre Pernaut.
Il pourra alors consulter internet les yeux fermés, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.