Nous nous attardons aujourd'hui à l'analyse des performances des sites chinois des constructeurs automobiles étrangers.
La Chine n’est décidément pas un pays comme les autres… Alors que dans pratiquement tous les pays les constructeurs d’automobiles s’inquiétaient de devoir poser un genou à terre sans avoir la moindre certitude de pouvoir se relever, tous les indicateurs montrent une croissance exceptionnelle de la vente de véhicules neufs dans le Pays du Milieu.
L’Association des Constructeurs d’Automobiles Chinois (ACAC) nous informe ainsi que sur les 8 premiers mois de cette année 8,33 millions de véhicules ont été vendus, soit un bond de 29,2 % par rapport à la même période de 2008. Mieux, la progression a littéralement explosé en août, avec 853 300 véhicules vendus, soit une hausse de 90% par rapport au même mois de l’année précédente !
On apprend par ailleurs dans le Wall Street Journal du 6 mai dernier, que General Motors, au bord de la faillite, a enregistré une progression de ses ventes de 50% sur le marché chinois en avril dernier, alors que tous les voyants étaient au rouge sur les autres places, avec même un recul de 33% de ses ventes entre août 2008 et août 2009 aux Etats-Unis.
Un nouvel Eldorado ?
Les premiers critères de choix sont naturellement le type de véhicule, la motorisation, le confort, les options et, bien évidemment, le prix. Dans un environnement ultra concurrentiel, il est donc essentiel pour les marques de pouvoir attirer le futur client, le convaincre qu’en choisissant le véhicule proposé, il fait le bon choix. Depuis des lustres, les équipes marketing travaillent d’arrache pied pour mettre en place des campagnes publicitaires dans la rue, les magazines, la télévision. Ils ont également noué des partenariats sportifs, sous forme de sponsoring par exemple, ont créé des écuries dans des disciplines diverses et variées, et ont même été jusqu’à créer des compétitions spécifiques !
Mais il faut rester proche du client, associer la part de rêve au côté réaliste, à la vie de tous les jours… Quoi de mieux que d’utiliser ce qui est devenu « LE » média, c'est-à-dire l’Internet ?
Plus qu’une simple vitrine, le site du constructeur permet d’aller plus loin, de comparer les gammes de véhicules proposés, de voir les voitures sous toutes leurs coutures, intérieur, extérieur, d’en faire le tour, de zoomer, de connaître très précisément l’ensemble des associations qui peuvent être réalisées, de « composer » son véhicule à l’aide de simulateurs puissants et simples d’usage, de connaître les coûts exacts, voire de réaliser les montages financiers possibles. Tout cela, sans bouger de chez soi, sans se soucier des heures d’ouverture ni des discours dithyrambiques des concessionnaires.
Présentés comme cela, ces sites Internet des constructeurs peuvent paraître idylliques, prêt à convaincre le plus indécis des prospects, dès lors que ses finances lui permettent de procéder à l’acquisition du véhicule.
Mais la force de l’Internet représente également sa faiblesse, pour les constructeurs. En effet, si en théorie il est relativement facile de faire entrer le visiteur dans son magasin virtuel, celui-ci peut tout aussi bien en sortir pour se connecter sur le site du concurrent. Son choix sera généralement motivé par la volonté d’obtenir une exhaustivité maximale des offres proposées, quelle que soit la marque. Mais le passage d’un site web vers un autre peut-être accéléré par un sentiment d’insatisfaction liée à une mauvaise conception du site rendant très difficile la recherche des informations recherchées, ou des difficultés à se déplacer sur le site, en raison de lenteurs ou de l’incapacité à obtenir une réponse aux requêtes formulées.
Nous nous intéressons dans cette étude aux sites internet chinois des constructeurs d’automobiles haut de gamme. Alors que ces entreprises mettent un point d’honneur à présenter des produits se rapprochant au maximum de la perfection, ne lésinant pas sur les courbes, les options ou bien encore la motorisation, leurs sites internet sont-ils conçus et exploités dans le même esprit perfectionniste ?
Pour tenter répondre à cette question, ip-label.newtest mesure depuis 12 villes chinoises parmi les plus importantes les performances des sites des principaux constructeurs automobiles implantés dans cet immense pays, dans un environnement end-user, c'est-à-dire de la façon dont un internaute chinois le perçoit.
Des performances contrastées
Le tableau suivant s’appuie sur un indice, calculé sur 100 points, se basant sur les deux indicateurs de performance que sont le taux de réussite d’accès et la rapidité d’affichage des pages.
Avec 91,5 points, BMW se voit attribuer le meilleur score. Derrière le constructeur allemand, les indices les plus élevés, proches de 90 points sont enregistrés par deux constructeurs d’automobiles haut de gamme d’origines japonaises, Lexus et Infiniti, respectivement filiales de Toyota et de Nissan.
Les autres marques occidentales sont distancées. Avec 82 et 81 points, Jaguar et Mercedes-Benz parviennent encore à maintenir un niveau acceptable, tandis que Audi arrive à peine à obtenir un indice supérieur à 76 points.
Mais pourquoi de tels mauvais indices ? En effet, si pour BMW et pour les nippons Lexus et Infiniti les performances sont acceptables, elles sont loin d’être excellentes pour les trois autres sites.
Comme tous les sites internet qui présentent des produits de haut de gamme, le design compte énormément. Il faut absolument que les concepteurs de ces vitrines virtuelles fassent preuve d’originalité, donnent envie « d’avoir envie »…
Pour cela, des artifices nombreux et dynamiques sont utilisés, tels les objets Flash, les petites vidéos, etc.
Un prix à payer… pour l’internaute…
Ces technologies « magiques » nécessitent énormément d’informations qui doivent transiter entre le centre qui héberge le site internet et l’ordinateur du visiteur. Plus ce volume de données est important, et plus il faut de temps pour que la page web s’affiche dans le navigateur internet. Parfois, la durée d’affichage de la page est tellement longue que l’internaute se lasse et abandonne un site devenu désagréable à visiter, générant pour le constructeur un taux d’échec dans sa tentative d’apporter de l’information à un client potentiel.
Avec des taux d’échec d’accès à leur site compris entre 1,4 et 1,9%, c’est, sur 10 000 personnes qui ont tenté de franchir les portes des magasins virtuels de Lexus, Infiniti, Mercedes-Benz et Jaguar entre 140 et 190 personnes qui ont été éconduites.
Audi, de son côté, a en moyenne refusé l’accès de son site à près de 500 internautes sur 10 000.
Le seul à proposer une disponibilité de service nettement supérieure à la moyenne est BMW qui, sur ces 6 mois, n’a en moyenne refusé l’accès à son service qu’à 60 internautes sur 10 000.
Qu’est ce qui explique des taux d’échecs aussi élevés ?
La façon dont sont conçues les pages du site web peut occasionner des échecs. La nature des objets que l’internaute doit charger sur son navigateur est parfois lourde, volumineuse. Si la page est de plus constituée d’un nombre considérable d’objets, par exemple des vues composées de petites images assemblées, la multiplication des échanges qui s’effectuent entre le navigateur internet du visiteur et le serveur hébergeant le site web va ralentir encore plus, et parfois de manière considérable, le temps qui est nécessaire pour que la page s’affiche dans son intégralité.
Un problème de réseau…
Ce phénomène peut être amplifié par une autre cause, la bande passante disponible. Ce terme désigne la capacité d’un lien réseau à pouvoir transférer une quantité d’information en un espace de temps donné. Tout comme le diamètre important d’une canalisation permettra de transporter une grande quantité d’eau en une seconde, un lien réseau ayant beaucoup de bande passante disposera de la capacité à transférer un important débit d’information.
Cet élément n’est pas gênant si la limitation de la bande passante se situe au niveau de l’internaute. Certes, celui-ci aura beaucoup de difficultés à voir les pages s’afficher dans son navigateur internet, mais cela ne gênera pas les autres visiteurs du site.
En revanche, si la limitation se situe en amont, par exemple au niveau du site d’hébergement du serveur web ou sur un point d’interconnexion entre deux réseaux opérateurs intermédiaires, la situation peut rapidement devenir dramatique, puisqu’une situation perverse risque de se produire. En effet, plus le site aura de succès et attirera des visiteurs, et moins le site pourra répondre rapidement, sera même parfois incapable de répondre aux sollicitations des visiteurs.
L’Empire du Milieu présente par ailleurs une particularité très pénalisante pour les internautes chinois, celle de disposer de deux réseaux qu’exploitent deux opérateurs distincts : China Netcom, dans le Nord du pays, et China Telecom au Sud. Ces deux réseaux sont assez mal interconnectés, rendant par exemple difficiles d’accès pour les Pékinois les sites hébergés à Shanghai, et inversement.
Parfaitement conscients de cette problématique, et désireux de servir chaque internaute de la même façon, l’ensemble des constructeurs a opté pour une solution de mise en cache de leur contenu web, en confiant l’hébergement de leurs sites à des opérateurs de CDN (Content Delivery Network). De cette façon, le site n’est pas hébergé sur un serveur situé dans une zone géographique donnée, mais sur une multitude de serveurs répartis sur l’ensemble du territoire chinois. Chaque internaute, en fonction de sa localisation, accédera ainsi au serveur qui est situé le plus proche de lui, dans les meilleures conditions possibles.
…ou de conception ?
Une analyse du contenu des pages de l’ensemble des sites des constructeurs permet de constater une relative maturité de leurs concepteurs, qui ont conçu les pages avec un nombre pas trop élevé d’objets.
Peu d’objets, certes, mais parfois volumineux. Le poids des pages varie très fortement en fonction des sites. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que les sites les plus rapides et les plus disponibles sont ceux dont les pages sont les plus légères. Véritable poids plume, Lexus ne pèse que 254 Ko, alors qu’Audi présente un poids de page moyen de 1530 Ko, ce qui représente pour l’internaute 6 fois plus de données à charger sur son ordinateur.
Contrairement aux entreprises de secteurs d’activités différents, les constructeurs d’automobiles haut de gamme ont réussi à associer un certain nombre d’éléments techniques permettant de proposer des vitrines virtuelles élégantes, dynamiques, proches de l’internaute. Mais tous ces efforts sont parfois encore insuffisant, et trop de visiteurs ne peuvent accéder aux sites.
Il faut savoir raison garder
Cette situation peut être comparée à celle d’une pièce bondée dans laquelle on ne peut plus accéder. Si, dans la « vraie vie », personne n’apprécie manquer d’espace autour de soi, et renoncera de facto à tenter franchir les portes du local, il n’en va pas de même dans l’environnement virtuel que représente l’Internet.
L’environnement dans lequel l’utilisateur se trouve est en effet totalement différent. Il ne s’agit plus pour lui de ressentir ou non les gens autour de lui, puisqu’il se retrouve physiquement seul, devant l’écran de son ordinateur. Il lui est dès lors difficile de percevoir « la foule » et, par conséquent, d’accepter les lenteurs, voire les refus d’accès. L’internaute devient de plus en plus intransigeant, jusqu’à abandonner le site. Il peut dès lors s’ensuivre un sentiment de frustration générant une mauvaise image de la marque associée au site web. Comment un constructeur peut-il en effet concevoir des véhicules de qualité s’il n’est même pas capable de proposer un « simple » site internet qui permette tout simplement qu’on y accède ?
Présenté comme cela, ce raisonnement peut paraître un peu simpliste, naïf… Et pourtant, chacun de nous a, à un moment ou un autre, ressenti une gêne, une déception, un découragement, ou même une colère. Et ces sentiments ne vont jamais à l’encontre du réseau ou du concepteur du site. Nous avons inconsciemment besoin d’associer un nom au fautif. Nom qui apparaît dans le lien Internet ou dans la partie de la page qui a bien voulu s’afficher…
Toujours plus nombreux et expérimentés, les internautes sont de plus en plus exigeants et ont un point commun : leur manque de fidélité. Avec le réseau Internet, les solutions concurrentes sont de plus en plus facilement connues et accessibles. Avec la variété des offres proposées et leurs coûts, la qualité du service internet des entreprises est désormais l’une des composantes qui vont permettre de faire la différence, et pourra convaincre, rassurer, assurer le visiteur qu’il fait le bon choix en franchissant la barrière qui sépare la prospection de l’achat.
Même si la décision n’est pas immédiate, même si la qualité du site n’est pas l’élément majoritairement décisif quant à la volonté d’acheter, l’imperfection peut, elle, avoir ce pouvoir décisionnaire de ne pas faire confiance et d’aller voir ailleurs…
*Mesures réalisées depuis Beijing (Pékin), Chengdu, Fuzhou, Guangzhou (Canton), Hangzhou, Nanjing, Qingdao, Shanghai, Shenyang, Shenzhen, Zhengshou
Par Christophe Depeux - Directeur Asie Pacifique d’IP-Label,en collaboration avec Alain Petit
pour L'Atelier BNP Paribas Sur le même sujet :