Hier, submergé par une vague d'ennui particulièrement ténue, j'ai eu l'insigne déshonneur de me retrouver à visionner une vidéo disponible sur le site de TF1, dans la rubrique Confessions
Intimes. Après tout, il faut bien se ressourcer en inepties de temps à autre afin de trouver matière à rallumer la flamme de la révolte qui tend rapidement à s'éteindre à une époque où plus rien
n'a de sens et où tout se prête si facilement à l'indignation. Passons d'emblée sur l'aspect totalement public de ces confessions soi-disant intimes pour nous attarder un peu sur un des sujets
qui comptent parmi mes favoris : les TOC.
Jeanine, la pauvre dame faisant office de sujet du reportage, est devenue prisonnière de sa souffrance. Manière de dire qu'elle n'y peut rien et que si on vous la montre c'est pas du tout pour se
foutre d'elle mais bel et bien pour que vous n'oubliez pas toute la souffrance qu'endurent certains de vos compatriotes, et que dès lors il serait indigne de se plaindre de bosser comme un
esclave pour perpétuer la spirale du surendettement quand, non loin de là, une pauvre dame est retenue en otage, je crois qu'on peut le dire, par ses Troubles Obsessionnels Compulsifs. Les FARC,
c'est tous des tantes, ce sont les TOC qu'il faudrait craindre maintenant.
Tour à tour, le documentaire nous dévoile tous les aspects de la névrose de Jeanine. Du nettoyage des ordures ménagères à la mise en quarantaine de toute substance provenant du dehors, considéré
par madame comme un univers sale, et peu importe si cette substance est humaine, rien n'échappe à la caméra. Puis, Jeanine nous explique qu'elle se lave les mains au moins deux cents fois par
jour.
A partir de là, admettons Jeanine comme une probabilité théorique, et passons sur le fait qu'une caméra et son équipe de tournage, c'est probablement cent fois plus sale que n'importe quoi
d'autre, surtout lorsqu'elle arbore fièrement des stickers TF1, et que cela ne semble pas gêner notre chère Jeanine outre mesure. Disons que ce qui nous est présenté est réel, complet,
certainement pas surjoué (voir totalement interprété), et poursuivons le visionnage.
Une experte (et donc auto-prolamée comme telle), mandatée par TF1, débarque alors pour aider Jeanine à s'enfuir de sa prison aseptisée. On notera au passage l'habile touche d'auto-dérision
lorsqu'à peine un mois après l'hystérie collective sur le sujet d'une grippe dont nous n'avons pas vu la moindre particule autre part qu'à la télé, lorsqu'après nous avoir seriné de partout qu'il
fallait se laver les mains au moins trente secondes plusieurs fois par jour et autres conseils foireux tenant plus du bon sens que de la prévention, la production nous offre un reportage sur une
obsédée du nettoyage, qui pourrait finalement être n'importe quel humain qui aurait suivi à la lettre les conseils du gouvernement et des médias à chaque fois qu'il les entendait. L'experte,
donc, assise face à Jeanine, lui explique qu'il va falloir arrêter de tout nettoyer tout le temps, parce que d'abord c'est pas une vie, et qu'il va peut-être s'avérer un jour nécessaire de
remettre les pieds dans la réalité, aussi crade qu'elle soit. Sans doute n'est-elle pas la première à lui tenir ce discours, mais toujours est-il que pour une fois, ça semble marcher. Les saintes
paroles de la pythie réveillent les démons de Jeanine qui paniquent et la secouent de droite à gauche. La pauvre femme crie de douleur, c'est un véritable exorcisme.
Et quelque part, la petite voix du sarcasme me souffle la réflexion suivante. Comment peut-on en arriver à un tel point d'ennui, à une telle lassitude, qu'on se prenne de passion pour une des
tâches les plus ennuyeuses, que la plupart des couples du territoire aiment à se refourguer l'un l'autre en se trouvant les plus formidables excuses du monde pour éviter la corvée ? Comment la
solitude et l'indécision, dans un monde où tout est plus ou moins possible, peuvent-elles plomber un comportement à ce point ? Est-ce la culpabilité de ne pas travailler pour gagner sa pitance
compensée par un zèle ménager hors du commun ? Dans ce cas, j'aurais un conseil pour tata Jeanine. Franchement, qui peut bien en avoir quelque chose à carrer de ton mérite ? Si tu ne veux pas
bouger de chez toi, tu n'as qu'à te passionner pour la cuisine et faire comme des milliers de femmes en France : créer un blog sur lequel tu posteras les photos de chacuns de tes repas, assorties
de leur recette et de gifs animés clignotants. Tu verras, la reconnaissance de la communauté, fonctionnant en circuit fermé, finira bien par te tâcher, et tu t'en sentiras tellement fière que tu
pourrais même t'essayer bientôt au tricot ou au point de croix. Enfin, tu te seras trouvé une occupation parfaitement inutile, voire même totalement encombrante, et tu feras ton entrée dans le
monde moderne : rien ne sert d'être utile, il faut produire du rien.