Comment faire un corpus à partir d’un forum de type Seesmic, voici mon point de vue dans la troisième partie publiée ci-dessous. Puis la partie C) présentera en grande partie ce que je publierai plus tard sur ce blog.
B) Définition d’un Corpus Internet
Comment concevoir un corpus internet ? Dans Les discours de l’Internet : nouveaux corpus, nouveaux modèles ? , le linguiste Michel Marcoccia essaye de comprendre et de mettre en place des « lois » pour la définition d’un corpus Internet dans son article « L’analyse conversationnelle des forums de discussion : questionnements méthodologiques »[1]
Seesmic possède toutes les caractéristiques d’un forum de discussion. Il s’ancre dans un contexte Internet, il privilégie la discussion et il s’agit d’un espace Internet où plusieurs personnes interagissent ensemble. On peut donc le soumettre aux mêmes critères d’interprétations et d’analyses proposés par Marcoccia pour délimiter un corpus. Toutefois, il est intéressant de ne pas se cantonner à cette démarche en prenant en compte la particularité de ce dispositif, c’est à dire son aspect audiovisuel, face au forum de discussion classique.
1. Particularités d’un forum de discussion selon M.Marcoccia
Michel Marcoccia se pose en défaut aux deux précédents courants d’analyse conversationnelle sur Internet. L’une qui consiste à appliquer « les catégories habituelles de l’analyse conversationnelle »[2] et l’autre se contentant de comparer et de répertorier les différences entre discussion de face à face et discussion par ordinateur. Il propose dès lors de définir l’objet forum de discussion Internet avant de se livrer à une délimitation de corpus et une définition des enjeux de ce type de corpus.
En le reprenant, on peut dire que ce corpus prend naissance dans un cadre participatif, c’est-à-dire un espace numérique où interviennent plusieurs acteurs, parfois non identifiés, parfois anonymes. Cette question de l’anonymat sur Internet sera traitée dans la partie Analyse du projet de mémoire.Le forum de discussion Seesmic est donc, au même titre qu’un forum de discussion classique, une instance de correspondance et de production publique commune de « documents numériques dynamiques »[3]
L’absence de l’analyste lors de ces échanges, et l’homogénéité du corpus institué par le dispositif, laisse à penser qu’il constitue un corpus idéal pour l’analyse. Mais, ne tombant pas dansl’illusion detransparence de la conversation Internet, M.Marcoccia précise que ce corpus possède plusieurs particularités, notamment deux principales : un principe d’archivage des interventions dont les participants sont conscients et un principe de conversation sans fin. Il est donc nécessaire de prendre en compte ces deux particularités. L’une, influençant l’intervention des intervenants, etl’autre mettant à jour un corpus qui se veut instable et éditable à foison par les internautes. Cette « condamnation à l’incomplétude » et cette structure d’intervention particularisent le corpus Internet face à d’autres corpus plus classiques et stabilisés.
2. La conversation dans le forum de discussion
Ce corpus met en jeu une communication asynchronique médiatisée interpersonnelle de masse. Asynchronique car les interventions ne se font pas en direct et ne sont pas instantanées[4]. Et« médiatisée interpersonnelle de masse » car cette communication peut s’adresser à une seule personne tout en étant susceptible d’être vue par tous, comme tous peuvent y répondre.
Cetteconversation est de forme polylogue, c’est à dire qu’elle met en scène plusieurs auteurs de dialogues et de monologues. Elle est aussi de forme discontinue à cause du caractère asynchronique du dispositif. Les discussions menées, bien que thématiques le plus souvent, ne sont pourtant pas à l’abri des hors sujets et desglissements d’un sujet à un autre sans lien logique en raison de leur nature polylogue. Comme le résume De Fornel[5] « les forums de discussion sont des dispositifs qui permettent l’émergence de conversations focalisées dans un espace d’interaction faiblement focalisée ».
À partir de ces constatations, Marcoccia fait une première classification qui s’appuie sur un postulat de E.Goffman définissant les participants à une conversation comme étant les personnes présentes dans l’espace d’interaction conversationnel. Ainsi, Marcoccia désigne deux types d’intervenants dans les forums de discussions : les producteurs de message et les lecteurs passifs du message (les lurkers). Ensuite il met en place une distinction évaluative au sein même des producteurs de message s’appuyant sur des données quantifiables (nombre de réponses, nombre de sujets ouverts etc.…) et qualifiables (rôles occupés dans le forum : membres, modérateurs, administrateurs, grades spéciaux etc…). Il dégage trois grands types d’intervenant dans le cadre participatif : le lecteur silencieux, le participant occasionnel et l’animateur.
3. L’instance de production et sa réception
Ces classifications faites, il est possible de s’intéresser à l’instance de production et à sa réception. Les messages passent par différentes modalités de production, comme le soulignent Levinson[6] et Pemberton[7] que sont la participation, la transmission, la motivation et la mise en forme. Selon, M.Marcoccia, ce message émane donc de caractéristiques techniques, humaines et/ou institutionnelles. La caractéristique technique correspond à l’origine physique du message, ici l’ordinateur. La caractéristique humaine se rapporte à l’auteur du message[8]. Et enfin la caractéristique humaine ou institutionnelle s’assimile à l’énonciateur, c’est-à-dire le responsable du message. Comme le souligne l’auteur, on retrouve la tripartition pensée par Goffman[9]où « l’animateur » se trouve être l’adresse physique de l’ordinateur (machine parlante technique), l’auteur est le producteur de l’énoncé et le responsable est l’énonciateur.
M.Marccocia réalise aussi une classification des messages envoyés aux récepteurs par les producteurs dans les forums de discussion. Dans ces messages, soit le récepteur est interpellé par le producteur du message en tant que destinataire direct (interpellation verbale ou visuelle de la part de l’énonciateur qui se traduit par une communication interpersonnelle prononcée), destinataire secondaire/privilégié (s’adresse aux intéressés du sujet) ou soit comme témoin. Témoin sera pris dans son sens le plus large dans ce cas là, c’est à dire que le spectateur assiste à une scène qu’on lui donne à voir.
Cette tripartition de Goffman, dans le cas des forums de discussion, voit son animateur ne pas prendre corps dans une personne physique ou morale mais bien dans un objet technique, l’ordinateur. On constate alors une faible adéquation entre l’origine physique du message et l’auteur du message. Cette faible adéquation entraîne un échange instable avec des auteurs internautes difficilement identifiables car cachés derrière leurs machines. Or, Seesmic balaie en partie ce problème, par le biais de la vidéo : il force l’auteur du message à filmer son intervention afin de pouvoir la diffuser.
Or, Seesmic balaie en partie ce problème, par le biais de la vidéo : il force l’auteur du message à filmer son intervention afin de pouvoir la diffuser. Néanmoins l’identification des personnes ne signifie pas que nous devrions revenir à un modèle d’interprétation plus classique comme celui d’Oswald Ducrot pour l’analyse. Car, au même titre que Seesmic ne constitue pas une conversation virtuelle détaché des réalités, Seesmic ne se résume pas à une ère d’énonciation traditionnelle.
Il est donc nécessaire, pour comprendre cet espace discursif audiovisuel, de baser notre analyse sur les théories de l’énonciation audiovisuelle tout en prenant en compte son caractère conversationnel. Dès lors nous mettrons en place une analyse pluridisciplinaire permettant d’analyser tant le caractère discursif du dispositif, que le caractère audiovisuel de celui-ci.
b) Les particularités du corpus Seesmic : un corpus audiovisuel
Mais s’appuyer uniquement sur l’interprétation des forums de discussion ne permet pas de cerner le corpus Seesmic dans sa globalité. Mêmesi ce dispositif se constitue en forum de discussion en soi, il se sépare, sur un point, du forum de discussion classique, avec la présence de l’audiovisuel pour fonder l’interaction entre ses membres. Cette différence ne semble pas anodine. Carl’interaction audiovisuelle entre les internautes remet en cause la tripartition faites par Marcoccia. Seesmic rajoute alors une « couche » d’identification par la monstration physique de l’auteur du message, perturbant ainsi l’interprétation faite par l’auteur des forums de discussion classiques. Au premier abord, il semble plus simple de rester dans les bornes de l’analyse de M.Marccocia. Or, le remplacement de l’écrit typographié des forums par la vidéo et l’audio va au-delà d’une simple distinction formelle des interventions. Cette différence technique entre forums classiques et Seesmic semble notamment toucher le statut de l’intervenant sans oublier son identification et sa démarche. Elle semble aussi influencer la réception du spectateur, à qui l’on donne à lire, à voir et à écouter.
Le corpus ne peut donc se limiter à une simple rétention d’échange conversationnel par la retranscription typographiée, mais doit aussi prendre en compte les éléments visuels de l’intervention en tant qu’éléments à part entière agissant dans l’échange. Ceux-ci pourront être analysés grâce aux différentes théories sémiologiques audiovisuelles. Les analyses de forum fondées sur la discussion verbale interpersonnelle seront remises en perspective par le modèle du débat télévisépourcomprendre la spécificité des dispositifs d’interlocution de Seesmic.Cependant il ne faudrait pas négliger que les éléments audiovisuels n’ont de sens qu’inscrits dans un échange et une interaction entre internautes. Ils participent à la construction d’une médiation au contexte particulier.
Pour terminer, la définition et la classification du corpus Internet effectué précédemment pose la question de la clôture d’un corpus de fait illimité. L’analyste de corpus de la conversation sur Internet a donc pour difficile tâche de former des frontières basées sur le temps (telle conversation prise à un moment T). Il sera vu dans la partie « Seesmic comme un espace discursif », l’intérêt de choisir une démarche ethnomèthodologique pour étudier ce dispositif plutôt qu’une simple constitution de corpus, qui ne pourra jamais vraiment satisfaire la condition fondamentale de sa clôture.
C) La pertinence dans une perspective communicationnelle
Étudier Seesmic revient à étudier une communication humaine bien particulière faisant partie de ces dispositifs Internet qui amènent les internautes à discuter et dont les mots d’ordre sont conversation, communauté et partage.
Cette communication humaine est spécifique dans la mesure où elle est méditée par une machine, et un dispositif électronique, en l’occurrence Seesmic. Celui-ci fait intervenir une technique pour faire converser les internautes (ou Seesmiqueurs[10]) et se fonde également sur une partie audiovisuelle que l’on se doit de questionner.
L’étude de Seesmic se justifie donc pleinement dans une perspective communicationnelle car l’existence même de ce dispositif semble poser de nouvelles questions et soulever de nouveaux enjeux à la linguistique, à la sémiologie et au champ de la communication dans son sens le plus large. Plus intéressant, Seesmic remet au goût du jour de vieilles problématiques humaines à l’aide d’une nouvelle technologie, renforce certains mouvements de fond de notre société médiatique et s’inscrit, comme tous les nouveaux moyens de communication et d’information, dans une certaine inter-médialité[11]. Si Seesmic n’a pas encore connu des taux de fréquentation tels que ceux de Facebook[12] ou Twitter[13], il interroge des problématiques plus larges dépassant son seul cadre, comme nous il le sera montré dans l’analyse.
Seesmic est donc un objet pertinent à inscrire dans une perspective d’étude communicationnelle tant d’un point de vue micro, c’est à dire la communication d’internaute à internaute, que d’un point de vue macro, en proposant de nouvelles relations entre les internautes et les spectateurs et des internautes aux médias traditionnels[14]
D) Projet de Mémoire
a) Objectif du projet de Mémoire et problématique de départ
Se fondant sur les hypothèses de départ suivantes; premièrement qu’il existe une différence technique, mais aussi de sens, entre le forum classique et Seesmic, deuxièmement que le forum de discussion audiovisuelle ne semble pas se soumettre entièrement aux canons d’analyse de la conversation sur Internet, le projet consistera à saisir les enjeux de la vidéo dans l’interaction entre personnes sur les forums de discussion où les signes audiovisuels semblent participer à un « art » de la conversation sur Internet.
b) Présentation succincte des ouvrages et des domaines d’exemplification choisis
Cette problématique me pousse à articuler plusieurs disciplines, je m’appuierai sur des ouvrages et des articles de disciplines distinctes pour procéder à l’analyse de cet objet. Tout d’abord, je caractériserai ce dispositif Internet comme un espace discursif, c’est à dire un lieu de production de discours. L’ouvrage Dialogiques, recherches logiques sur le dialogue du philosophe Francis Jacques permet de procéder à un rapprochement avec une analyse sociologique et linguistique réalisée pour un autre forum de discussion, « Palace », par Danielle Verville et Jean Paul Lafrance dans leur article L’art de bavarder. De par son aspect audiovisuel et partant du constat que ce dispositif est repris et cité dans un certain nombre de médias, je soumettrai l’objet à l’analyse sémiologique et socio-historique proposé par Francis Jost et Sébastien Rouquette. Je montrerai que Seesmic fait partie de ces dispositifs audiovisuels dont le but est de construire la représentation d’un monde réel notamment à l’aide du concept de Spect-acteur. Le concept de spect-acteur se traduit par une interaction poussée qui s’ancre dans l’évolution logique constatée par F.Jost de la « télévision profane ». Ces constatations effectuées je pourrais alors rapprocher, comparer et situer Seesmic par rapport à l’analyse socio-historique effectuée par S.Rouquette dans Vie et mort des débats télévisés. Ce qui me permettra de questionnerla nature de celui-ci en tant que débat audiovisuel.
Dansla deuxième partie de l’analyse, j’interrogerai la place des acteurs et leurs identités dans cet espace discursif se constituant en débat audiovisuel. Ainsi je conceptualiserai en profondeur l’environnement des Seesmiqueurs à l’aide de l’analyse des réseaux sociaux effectuée par le sociologue Dominique Cardon et la sémiologue Fanny Georges. Puis j’essaierai de définir le régime de pseudonymie des acteurs pour comprendre leurs positions dans l’interaction en m’appuyant sur les théories littéraires de Gérard Genette. Ensuite je soumettrai le caractère pseudonymique de Seesmic à l’analyse linguistique du pseudonyme Internet réalisée par Marcienne Martin dans Le pseudonyme sur Internet, une nomination située au carrefour de l’anonymat et de la sphère privée. Enfin, j’analyserai la place des acteurs dans ce contexte audiovisuel particulier grâce auTemps d’un regard du sémiologue François Jost.Dans la continuité j’expliquerai en quoi la place du Seesmiqueur dans Seesmic ancre le dispositif dans des mouvements sociétaux qui l’entourent et le traversent, mouvements qui seront définis à partir de l’œuvre de François Jost Le culte du Banal.
Pour finir, mon projet de mémoire sera traversé par la notion d’intermédiarité définie par André Gaudreault et Phillipe Marion croisée avec la démarche de P.Flichy déjà exposé en partie I.
Les parties III et IV constitueront la conclusion de l’exposition de mon projet de mémoire. La partie III exposera la problématique et les hypothèses retenues et ré-appuiera l’importance d’une recherche pluridisciplinaire en vue d’un futur mémoire. Tandis que la partie IV se contentera d’annoncer le plan de ce mémoire.
[1]MARCOCCIA, Michel - « L’analyse conversationnelle des forums de discussion : questionnement méthodologique ». - Les discours de l’internet : nouveaux corpus, nouveaux modèles Carnets du CEDISCOR 8 . -Paris : Presse Sorbonne Nouvelle, 2004. - pp. 23-38.
[2] Ibid., p.24.
[3] Ibid., p.25.
[4] Contrairement au chat et aux discussions simultanées sur Internet.
[5]De FORNEL, Michel - « une situation interactionnelle négligée : la messagerie télématique ». - Réseaux n°38. - Paris : La découverte, 1989. - pp.31-48.
[6]LEVINSON, Stephen - « Putting linguistics on a proper footing : exploration in Goffman’s concepts of participation ». - Goffman : An Interdisciplinary Appreciation. - Oxford : P. Drew & A Wootton, 1988. - pp.161-227.
[7] PEMBERTON, Lyn - « Telltales and Overhearers : participant Roles in Electronic Mail Conversation ». - Connolly - Londres : Linguistic concepts and methods in CSCW, 1996. - pp.145-161.
[8]Comme le terme d’”auteur” est un terme polysémique, nous nous contenterons de définir celui-ci comme « celui qui rédige le message » M. Marcoccia, p.33.
[9]GOFFMAN, Erving - Forms of Talk. - Pennsylvanie : University of Pennsylvania Press, 1981. - 344p..
[10] Utilisateur du service Seesmic.
[11] Notion que l’on définira plus tard dans le mémoire.
[12]Réseau social sur Internet.
[13]Service de micro-blogging, c’est à dire que l’utilisateur de ce servicedoit bloguer son actualité avec un nombre limité de caractère.
[14]Seesmic est souvent repris voir utiliser dans les médias traditionnels, particulièrement la télévision comme nous le verrons plus tard.
Seesmic : un forum de discussion audiovisuelle by CONSTANT Arnaud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas de Modification 2.0 France.