Etude approfondie de Seesmic : le forum discussion audiovisuelle en ligne 1
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2. L’art de bavarder sur Internet
Après avoir déterminé le terme dialogue et déduit que l’on assiste à un dialogisme particulier sur Seesmic, il est maintenant possible de procéder à son analyse. C’est à partir de l’étude du banal selon Simmel que les sociologues Danielle Verville et Jean Paul Lafrance s’attellent à la tâche d’examiner et de comprendre le « bavardage en ligne » quisemble maintenant assez commun, voire naturel. La discussion sur Internet dans nos sociétés ne semble pas soulever de grandes problématiques hormis lorsque celle-ci touche des sujets sensibles comme la pédophilie, le terrorisme ou l’escroquerie. A l’aune des années quatre vingt et quatre vingt dix, des auteurs comme Nicholas Negroponte[1] loue les nouvelles technologies de l’information et la communication censées révolutionner nos vies.
S’appuyer sur l’article « l’art de bavarder » permet de comprendre comment fonctionne une conversation via l’ordinateur. Pour analyser les mécanismes discursifs sur Seesmic, ilest pertinent de procéder à une démarche empirique qui s’inspirerait des procédés ethno méthodologiques d’observation et d’immersion participantes comme cela fut réalisé pour cet article à propos du forum de discussion Palace. Dès lors, faire partie de la communauté Seesmic pendant un temps donné, tout en prenant soin de conserver un regard extérieur sur l’objet à la manière de P.Flichy,permettra de comprendre en profondeur les interactions produites entre intervenants sur la plateforme par l’étude des mécanismes sous-jacents.
D’autre part, se pencher sur l’objet Palace est intéressant pour l’analyse car celui-ci fait intervenir, non pas la vidéo, mais un procédé de figuration des acteurs à l’aide d’avatar et d’espace de discussion stylisée particulièrement bien détaillés pour son époque (1999). Ce type de forum de discussion peut être considéré comme l’ancêtre de Second Life. Seesmic est donc en lien avec Palace par le fait qu’il fait intervenir dans la discussion une médiation figurative, en plus du simple écrit typographique.
2.2 Des dispositifs qui agissent sur la discussion en ligne
Ces médiations figuratives, comme le montrent les auteurs, influencent directement la conversation des protagonistes. « Il existe un lien étroit entre la configuration des espaces physiques et l’élaboration des dispositifs sociaux (…) l’utilisation métaphorique d’un grand hôtel de luxe comme environnement social témoigne de la nature des interactions qui s’y effectuent »[2] dans l’espace de Palace. Dès lors ce constat s’applique à l’environnement Seesmic. Se filmer avec sa webcam dans un lieu intime[3] ou dans un lieu public[4] change le message envoyé mais aussi la nature et la forme d’une discussion entre les individus. D’ailleurs l’internaute « Seesmiqueur » fait attention à ses propos et à ce qu’il filme selon l’endroit. Il doitprendre des précautions pour éviter des problèmes juridiques par exemple (on ne peut filmer n’importe quoi n’importe où) ou encore des problèmes sociaux (on ne discute pas de n’importe quoi n’importe où), car l’endroit choisi dans Seesmic pour se filmer est bien réel contrairement aux visions fantasmées des internautes de Palace.
Toutefois, l’interaction n’est pas uniquement influencée par le contexte entourant l’intervenant lorsque celui-ci se filme. Cela se résumerait à dire qu’il existepeu de différences entre une discussion classique et une discussion Internet. Or, l’interaction médiée par l’audiovisuel, comme dans le cas de Palace, est une médiation qui établit avec les intervenants des codes et des rituels particuliers à travers l’utilisation de la webcam.
2.3 De l’invention d’une conversation
Dans « L’art de bavarder », les auteurs citent De Certeau : « la raison technicienne croit savoir comment organiser au mieux les choses et les gens, assignant à chacun une place, un rôle, des produits à consommer. Mais l’homme ordinaire se soustrait en silence à cette confrontation. Il invente le quotidien grâce aux arts de faire, ruses subtiles, tactiques par lesquelles il détourne les objets et les codes, se réapproprie l’espace et l’usage à sa façon »[5]. Ne pourrait-on pas en dire autant de l’utilisation de Seesmic ? Même si à ce stade il est difficile de tirer des conclusions, les façons de se filmer et d’interagir sont déjà bien différentes d’une discussion classique. Par exemple, l’internaute peux très bien décider de filmer son jardin sans se montrer tout en parlant de l’élection d’Obama alors que l’autre utilisateur lui répondra en choisissant de se filmer en plan américain. Par ailleurs assiste-t-on toujours à une « réelle conversation » ? La médiation audiovisuelle, au lieu de nous rapprocher d’une « vraie discussion » semble avoir la possibilité de nous en éloigner fortement par les choix laissés par le dispositif à chaque intervenant. L’Internaute imposepar ses mots son idée, à l’autre, mais aussi la façon de la voir et de l’entendre. Cela donne naissance à une conversation bien étrange, oscillant entre la volonté d’une virtualité parfaite par l’image et le désir de laisser à l’internaute des choixne trouvant existence dans le monde réel. Au lieu d’être un décalque de la discussion traditionnelle de tous les jours, la discussion semble dès lorsse réinventer sur Seesmic.Pour autant ce dispositif Internet constitue-t-il une conversation virtuelle ne gardant aucune trace du réel ?
Au premier abord, la vidéo dans le dispositif Seesmic semble bien différente du système d’ « avatar » du dispositif Palace. Or, comme montré dans « L’art de bavarder sur Internet », le système d’ « avatar » sur Palace ne laisse que peu de place à l’anonymat total car les interactions ne peuvent se faire d’anonyme à anonyme, mais plutôt de pseudonyme à pseudonyme. De plus le régime de pseudonymie ne permet pas ou peu les identités frauduleuses car celui-ci est fortement lié à la réalité. D’ailleurs les auteurs, au cours de leurs études, remarquent par exemple qu’un homme, sous couvert d’un pseudonyme, ne pourra se faire passer pour une femme éternellement car celui-ci se voit de nombreuses fois invité par d’autres personnes dans la réalité, invitations qu’il sera forcé de décliner pour ne pas compromettre son identité virtuelle fantasmée. Ainsi les représentations frauduleuses ne peuvent survivre face aux incohérences qu’elles produisent elles-mêmes. Difficile, la représentation frauduleuse réclame, pour les participants, un réel travail laborieux et souvent inutile. Il en va de même pour Seesmic, même si celui-ci réduit le champ des possibles pour les représentations frauduleuses par un long travail : s’il est possiblede tricher techniquement avec la vidéo, l’exercice se révèle très difficile, voire impossible sur la durée. Ainsi est-il possible de concevoir le système vidéo proposé par ce dispositif, non pas comme l’opposé des systèmes virtuels, mais comme un certain prolongement. Car l’image que l’on se donne, ou que l’on veut se donner, trouve ses racines et ses explications dans ce que l’on est réellement.
D’ailleurs les auteurs de « l’art de bavarder », s’appuyant sur une étude de John Suler[6],montrent que même si l’espace du Palace est un espace virtuel où les lois de la gravitéet de la physique ne s’appliquent pas, les « Palaciens » aiment à respecter les contraintes physiques et spatiales[7]. Si Palace a pour objet de faire évoluer les discussions des internautes dans un espace social virtuel provoquant une récupération des codes présents dans les environnements sociaux réels, que peut-on en déduire pour Seesmic? Ne peut-on pas supposer que l’environnement audiovisuel de la discussion proposée par ce type de dispositif apporte son lot de récupérations audiovisuelles pour une interaction efficace entre les internautes ? Filmer simplement son visage[8] ou se filmer en plan rapproché[9] nuance le propos que l’on veut partager. Ces choix de la variation scalaire des plans peut résulter de processus d’influences et d’inspirations diverses par les internautes du fait d’évoluer dans la sphère médiatique etqui font référence à des genres et des styles empruntés.
[1]Informaticien au MIT, rédacteur à WIRED et auteur de Being Digital, il postule que l’être numérique a remplacé l’être biologique et que les bits sont devenu des atomesgrâce aux NTIC.
[2] VERVILLE, Danielle -LAFRANCE, Jean-Paul - « L’art de bavarder sur Internet ». - Réseaux, n°97 - Paris : La découverte, Novembre - Décembre 1999. - pp 179-209.
[3] Seesmic. Page utilisateur. [En ligne]. Adresse URL:http://Seesmic.com/videos/P9Sb5wmKi7 ( Page consultée le18 Mai 2009 ).
[4] Seesmic. Page Utilisateur. [En ligne]. Adresse URL:http://Seesmic.com/videos/rVXJkt1cb0 ( Page consulté le : 18 Mai 2009 ).
[5]VERVILLE D., LAFRANCE J.-P., op. cit. p.180.
[6]SULER, John. The psychology of Cyberespace. [En ligne]. Adresse URL:http://www.usr.rider.edu/~suler/psycyber/psycyber.html ( Page consultée le 5 Décembre 2008 ).
[7]Plus l’utilisateur a de l’expérience dans le Palace, plus il respecte les codes kinésiques de Hall selon D.Verville et J-P Lafrance.
[8]Seesmic. Page utilisateur. [En ligne]. Adresse URL:http://Seesmic.com/videos/mitQXcntNK ( Page consultée le : 19 Mai 2009).
[9]Seesmic. Page utilisateur. [En ligne]. Adresse URL:http://Seesmic.com/videos/nxuvDIOa7r ( Page consulté le : 09 Avril 2009).
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