Photo (c) Staatliche Museen zu Berlin, Achim Kleuker
C'est un labyrinthe antique où se côtoient des squelettes néolithiques, les sarcophages des pharaons, les bustes de Sénèque ou de Sapho, la beauté de Nefertiti et les vestiges de l'empire romain germanique. C'est un lieu ravagé par la seconde guerre mondiale, où subsiste le clinquant d'un 19e siècle fou d'égyptologie. Fermé pendant presque 70 ans, le Neues Museum a rouvert ses portes depuis la semaine dernière. C'est peu dire que je suis tombée sous le charme. Il avait déjà opéré lors du spectacle inaugural de Sasha Waltz au printemps dernier. Le musée était encore vide. Mais il s'en dégageait une incroyable sensualité, une beauté discrète et monumentale à la fois. Les danseurs et musiciens de Sasha Waltz avait tout cet espace à eux. Cette fois-ci les objets y ont retrouvé leur place, les stars sont immobiles et s'appellent Néfertiti, Akhénathon, la reine Tityi, Hérodote, Sapho ou Hélios. L'architecte anglais David Chipperfield a gratté les artifices, ravivé les couleurs des voûtes, retrouvé le charme des mosaïques, évacué les dorures, gardé les impacts des balles et les blessures des murs, et pour le neuf, préféré le clair, le blanc, l'épure. Un certain goût des mélanges qui se poursuit jusque dans le parcours du Neues Museum. Dans une scénographie parfois difficile à suivre chronologiquement, l'œil passe du buste de Néfertiti aux dieux romains, des statues soudanaises aux figurines du monde arabe. Mais c'est pour mieux embrasser toute la richesse d'un monde méditerranéen antique, berceau de nos civilisations. Lors de son inauguration au milieu du 19e siècle, Emmanuel de Rougé, directeur du département des antiquités égyptiennes du Louvre n'avait pas goûté les fresques murales et le kitsch du musée : "Ce sont là des exemples que nous n'imiterons pas". Aujourd'hui le musée semble avoir préféré un goût de la mesure et de l'authentique. Cette coupole où réside Néfertiti est l'un des lieux phares bien sûr. Quand je la vois pour la première fois, une nuée de photographes l'entoure. Cliquetis du déclencheur mais les voix se taisent. Elle est là seule, tranquille, auréolée d'un dôme magnifique, cernée de murs verts et ocres. Au sol le jaune du marbre rend l'endroit moins solennel. Elle a perdu un œil et regarde là-bas à travers les salles et couloirs. Lui faisant face, au bout de l'allée, les statues colossales d'Hélios et d'une déesse romaine inconnue. Trouvées en Egypte, elles ont aussi traversé un pan de l'histoire allemande. La dernière fois que les Berlinois les ont vues c'était en 1949, rescapées des bombardements. Embarquées en Russie, elles n'ont été raménes qu'en 1958. Enfouies dans les stocks, elles viennent tout juste d'être rénovées. Entre Néfertiti et Hélios, l'une des plus belles collections de papyrus du monde fait tampon. On joue des tiroirs roulant pour faire surgir des morceaux de tissus où émergent hiéroglyphes et lettres grecques, dessins colorés et plans architecturaux millénaires. Tiens une vitrine vide "ceux-là ne marchent déjà plus" s'excuse l'un des guides de la salle... Les pas résonnent joliment sur les mosaïques multicolores, récupérés des débris après la chute du mur, patiemment recollées pendant les 10 ans de rénovation.Le premier étage sera sans doute le plus visité, c'est là qu'on trouve Néfertiti et Akhénaton, toute la statuaire égyptienne, dont cette tête de la reine Tiyi femme d'Amenophis III, figure miniature à la finesse incroyable, mais aussi les papyrus, les statues grecques, les colonies romaines en Allemagne, les premiers signes de la christianisation. Au second étage, les matériaux sont chauds, bois à terre, vitrines colorées, on y revisite de manière très didactique les âges préhistoriques, déambulant de silex en squelettes dont celui de cet élan remontant à la fin de l'ère glaciaire. Clou de cet étage ce splendide chapeau astral en or massif qui daterait de 3000 ans et dont on compte seulement trois autres exemplaires similaires dans le monde. Dans cette salle ronde on explore les calendriers et les astres. Au sous-sol les Egyptiens ont retrouvé le calme et la pénombre des chambres funéraires. Seule les cours offrent une lumière naturelle. Mais là encore les commissaires d'exposition ont préféré mêler les continents et les époques. Des statues Dogon répondent au statuettes mayas. Le monde des divinités dans l'Antiquité s'embrasse d'un coup d'oeil, les objets s'organisent thématiquement dans les vitrines : agriculture, vie quotidienne, croyances, rites funéraires. Au rez-de chaussé, la reconstitution des chambres funéraires de Mérib, Metjen et Manofer est un des grands moments. Avec ses murs patinés, ses peintures écorchées et son goût de l'épure, le Neues Museum est un endroit où il fait bon errer. Les espaces sont larges, desservis par cet escalier gigantesque et lumineux. Je ne peux m'empêcher de repenser aux figures égyptiennes vivantes de Sasha Waltz qui dansaient sur les rampes, circulaient sur les marches au printemps dernier. Dans le hall résonne encore le rire d'une belle hystérique en crinoline. Les esprits du temps se sont emparés d'un lieu.
(Article paru sur le site Le petit Journal Berlin)
Le Neues Museum est ouvert du lundi au mercredi de 10h à 18h, du jeudi au samedi de 10h à 20h, le dimanche de 10h à 18h. Rens.www.smb.museum/neuesmuseum