Accroche : « Ils sont nés sur les champs de bataille de 14-18, dans le souffle des gaz et des armes aux rayons X.
Ils ont pris le contrôle des grandes capitales européennes, par-delà le Bien et le Mal.
Les feuilletonistes ont fait d’eux des icônes. Les scientifiques sont fascinés par leurs pouvoirs. Pourtant, au centre du Vieux Continent, une menace se profile, qui risque d’effacer jusqu’au souvenir de leur existence… »
Une chronique de Vance
Voilà un album qui m’a séduit au premier coup d’œil. Couverture classieuse, accroche fascinante et présentation des deux épisodes immédiatement stimulante. Le nom de Fabrice Colin, en outre, avait de quoi me titiller l’esprit : littérateur de l’Imaginaire, prolifique et multitâche, sa contribution à la revue Casus Belli ne m’était pas étrangère et je connaissais un peu sa réputation dans la Littérature de Jeunesse. Amateur de Tolkien et des grandes sagas de fantasy comme le Cycle des Epées (de Leiber), il avait, après quelques balbutiements littéraires dans le genre horrifique, fait dignement son entrée dans la cour des grands de la SF avec un roman d’inspiration dickienne (comme beaucoup d’auteurs français de sa génération et de la précédente) : Dreamericana, dont j’avais lu d’excellentes critiques sur un forum spécialisé que je fréquentais naguère. Néanmoins, et bien qu’il se soit aussi tournée avec succès vers les écrits pour enfants, ce sont ses origines de rôliste qui m’ont attiré chez lui.
La Brigade chimérique est donc un album qui en annonce d’autres. Le libraire me l’a fort bien vendu (comprenez qu’il a été de bon conseil, comme souvent chez un passionné qui sait écouter l’avis des autres), précisant que les suites seraient soumises aux résultats du premier exemplaire. Après lecture, et de manière totalement subjective, force m’est de reconnaître que je souhaite ardemment lire les suites.
Cette dernière n’a rien, en soi, d’extraordinaire. On pourrait même gloser sur le fait qu’il ne s’agit que d’une resucée des tentatives de Marvel de se la jouer « historique », comme dans 1602, en lorgnant sur des initiatives plus rôlistiques (et jouissives) comme l’inénarrable Cthulhu by gaslight où l’on pouvait jouer au détective lovecraftien dans le monde (et l’époque, surtout l’époque !) de Jack l’Eventreur et Sherlock Holmes. Toutefois, c’est bien au (déjà évoqué) LXG de Moore et O’Neill qu’on pense : comment intégrer quelques décennies de personnages légendaires et/ou historiques (et pas seulement de la vieille Europe) dans un contexte super-héroïque au sein d’un univers uchronique. Un peu à la manière des romans d’heroic-fantasy (vous savez bien sûr à quoi on les reconnaît ? Ils commencent – presque – toujours par une carte du monde dans lequel évoluent les personnages), les pages 2 et 3 de couverture proposent une vision de l’Europe très particulière, centrée sur des individus aux noms terriblement évocateurs : Marie Curie, Gog, le Golem, Raspoutine, les docteurs Moreau, Mabuse et Cornélius… Les anciens rôlistes qui se sont frottés à la description de l’univers de l’Europe du Tragique Millénaire, dans Hawkmoon tiré de l’œuvre de Moorcock, s’y retrouveront avec un intense plaisir. Il me suffit de vous recopier la dédicace du co-auteur, Serge Lehman, pour que vous compreniez alors de quoi il retourne :
Pour J.-H. Rosny, H.-G. Wells, Jean de la Hire, Evegueni Zamiatine, Fritz Lang, Giovanni Papini, Jean Ray, Régis Messac et tous les anciens de l’Hypermonde.
Autant de références pour le lecteur et cinéphile passionné par l’Imaginaire. Dans Mécanoïde Curie, on y voit Irène Joliot-Curie au sein d’un groupe représentant les Nous Autres communistes en armure prendre part en septembre 1938 à une réunion secrète dans une cité mystérieuse surgie de nulle part et nommée Metropolis, où M, le Docteur Mabuse, annonce la chute d’un système, provoquant l’ire des super-héros « alliés » (l’Anglais et le Français), l’incompréhension des héros invités d’outre-Atlantique (dont un certain Steele qui ne trompera personne et une version intéressante de Doc Savage) et la révolte des Russes. L’épisode suivant révèle l’identité d’un nouveau héros issu des récrits de Marcel Aymé et le résultat de sa dernière mission pour l’Institut du Radium : on y découvre un Paris fantasmagorique en pleine exposition surréaliste (Breton et Dali y font une apparition).
Ca va un peu vite, c’est vrai. On souhaiterait profiter plus profondément de chaque détail, de chaque sous-entendu, comme lorsque le Nyctalope raconte qu’il a bien connu Fantômas, Holmes, Judex et Mörs. Une sombre menace pèse sur le fragile équilibre d’un monde où se télescopent la montée des fascismes et du communisme et l’influence occulte de personnages tout-puissants. C’est fascinant, plein de promesses, digne de ses aînés anglophones auxquels il rend un méritoire hommage et tout à fait français. Et ça a surtout le don de nous remettre en mémoire des noms d’auteurs oubliés qui ont semé les graines nécessaires à l’épanouissement encore difficile de la science-fiction dans l’Hexagone.
A suivre.