Poezibao
remercie Marilyn Hacker qui lui a transmis ce texte consacré à Mahmoud Darwich et rédigé par
l’écrivain sud-africain Breyten Breytenbach. Que soient remerciés aussi l’écrivain
et les Éditions Barzakh à Alger, qui doivent publier ce texte ultérieurement, l’unet les autres ayant donné leur accord pour
cette publication dans Poezibao.
Quelques remarques sur la vie et l’œuvre de Mahmoud Darwich
lors d’une rencontre à Alger, le 3 octobre 2009,
par Breyten Breytenbach
Mahmoud Darwich était un homme de
paradoxes : ancré dans sa terre natale il partage les luttes de son temps
et son peuple, en tant que poète universel il traverse les siècles ; ses
poèmes sont illuminés par une spiritualité intense (surtout les dernières
années), et il est impossible de l’associer à une religion donnée.
La vie consciente est faite d’identifications et de reconnaissances provoquées
par des rencontres. J’ai rencontré Mahmoud Darwich pour la première fois vers
le début des années 70 à Rotterdam à l’occasion d’un festival international de
poésie.
Cette rencontre a lieu à un moment où je me pose des questions. Comment
participer à travers la poésie aux combats pour une cause sans pour autant
faire de la propagande simpliste et en évitant que sa langue soit infectée par
les lieux communs de la politique ? La poésie (la vraie), le « donner
à voir » et « donner à entendre » ne pourraient être de l’ordre
de l’entendu. La « participation » viendra donc d’ailleurs :
elle émanera de la complexité de la conscience. Le défi de la poésie
engagée : comment créer des aperçus sur l’indicible en ouvrant l’espace de
réflexion, en proposant la métamorphose possible de nos perceptions ?
On oublie souvent que la poésie est un acte de générosité, non pas un don de
soi mais une façon de partager ce que nous avons en commun au plus profond de
nous-mêmes.
La deuxième leçon de Mahmoud Darwich viendra plus tard. Comment durer ?
Comment faire pour continuer au-delà des vicissitudes des victoires et des
défaites ? Comment ne pas se laisser envahir par la lassitude et le
découragement ? Comment rester dans le concret et le présent ? La
poésie sera de l’ordre (et le désordre) de l’immédiat. Ce que Mahmoud Darwich
m’a appris est que la durée (l’éternité ?) se constitue d’un processus de
moments présents.
La troisième leçon : comment peut-on se libérer de la captivité des
attentes et des demandes quand on devient « la voix de son peuple » -
sans pour autant se renier ou se couper de son monde ? Comment, en quelque
sorte, devenir un « captif amoureux » ?
La réponse, pour moi, réside dans deux possibles directions parmi d’autres.
La première, dirai-je, est un principe non pas politique mais de métier :
toujours être et continuer de se situer du côté des pauvres. C’est-à-dire,
auprès des gens pour qui la vie reste palpable. Le lien, bien sûr, l’expression
de son positionnement, est la langue, l’histoire (ou la terre) et, paradoxalement,
les métaphores. L’espace habité par les pauvres reste au-delà des faux espoirs
et des victoires faciles, plus loin que les tissages de captivité et les
déchirures de l’aliénation.
La deuxième réponse ou sauvegarde est ce qu’on pourra appeler une évasion vers
les lumières des profondeurs. Pour Mahmoud Darwich c’est le dialogue approfondi
avec l’insaisissable, le « je » en ombre, le champ illimité de sa
mort.
Sa démarche n’est pas une recette. Il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir le
suivre. C’est à son honneur qu’une quête aussi solitaire soit restée si
lisible.
Et maintenant ? Nous entrons par ses écrits dans des actes d’intimité
illimités.
Il s’approche de nous.
Il reste figé.
Il s’en va.
Dorénavant ses vers font partie de notre champ de conscience. Nous sommes des
compagnons de sa parole. Mais il nous faudra faire attention de ne pas le
laisser mourir une deuxième fois en faisant de lui une icône ou un
emblème !
Contribution de Breyten
Breytenbach
©Breyten Breytenbach