En 2004, un film du nom de Harvie Krumpet remportait l’oscar du court-métrage d’animation et mettait en lumière le talent d’un cinéaste australien surdoué, Adam Elliot. Cette œuvre curieuse racontait la vie d’un homme « différent », un migrant polonais atteint du syndrome de la Tourette, légèrement attardé et particulièrement malchanceux. Un destin sordide fait de brimades, d’exclusion, de drames tragiques, de maladie, de folie et de mort, mais raconté avec beaucoup d’humour et de sensibilité, et véhiculant au passage un bel appel à la tolérance et au respect de l’être humain.
Le premier long-métrage du cinéaste, Mary & Max,,est de la même veine, en plus abouti encore. Il relate la magnifique relation d’amitié épistolaire qui unit, deux êtres très différents, sur deux continents différents, mais ayant en commun le même de mal de vivre, le même sentiment de solitude.
Il y a déjà la petite Mary Daisy Dinkle, une gamine australienne de huit ans. Elle est mal dans sa peau, complexée par l’hideuse tache de vin de couleur brune qui orne son front, une silhouette un peu boulotte et d’épaisses lunettes. Elle n’a aucun ami, les autres gosses de son quartier l’ayant choisie comme souffre-douleur et lui infligeant brimades et humiliations. Pour couronner le tout, son environnement familial n’est pas des plus stables. Son père passe son temps enfermé dans son atelier pour s’adonner à son hobby favori, la taxidermie, et ne s’occupe donc pas du tout d’elle. Sa mère, dépressive est, elle, un peu trop portée sur le sherry. Pour tromper l’ennui, la jeune fille décide d’écrire à un inconnu.
Son courrier est reçu par Max Horowitz, un juif newyorkais de quarante-quatre ans. Il est obèse et souffre du syndrome d’Asperger, une forme particulière d’autisme qui le handicape dans sa vie sociale. Comme Mary, Max n’a pas vraiment d’amis. Juste une vieille voisine complètement miro, un chat en piteux état et un poisson rouge. Alors il n’a rien à perdre à répondre à la petite australienne qui, comme lui, aime le dessin animé « Les Noblets » et le chocolat et qui semble aussi perdue que lui face au monde qui l’entoure. Il entame ainsi une correspondance qui durera plus de vingt ans.
Les lettres qu’ils s’échangent par-delà l’Océan Pacifique sont chargées de naïveté, de tendresse, de propos futiles et de considérations curieuses, mais aussi de confidences touchantes et de réflexions profondes sur leurs vies respectives, sur les mutations profondes qui s’opèrent autour d’eux.
Mary et Max ne se connaissent qu’à travers leurs courriers, mais malgré l’éloignement géographique, malgré les différences d’âge et de préoccupations, ils se sentent plus proches l’un de l’autre qu’ils ne l’ont jamais été d’autres personnes. Ils se font confiance, ouvrent leur cœur et oublient, le temps d’une missive écrite ou lue, leur profonde solitude et leur morne quotidien.
Evidemment, sur une aussi longue période, leur relation amicale sera parfois mise à rude épreuve. Certaines questions que Mary pose à Max sur l’amour et la sexualité provoqueront chez lui un certain embarras et pire, de violentes crises d’angoisse qui le mèneront aux portes de la folie. Et plus tard, quand la jeune australienne, devenue une spécialiste du syndrome d’Asperger, le prendra pour sujet d’étude, il se sentira trahi. De son côté, Mary sera profondément peinée des périodes où Max cessera sans explication concrète leur correspondance… Mais à chaque fois, l’affection qu’ils se portent l’un à l’autre sera la plus forte… De quoi mieux supporter les épreuves qui se dressent sur leur chemin. Et elles sont nombreuses…
Ce qui nous est montré au long de ces quatre-vingt dix minutes, c’est la vie et son cortège de grands bonheurs et de joies dérisoires, de rêves et de petits moments de gloire, mais aussi et surtout les moments douloureux, les désillusions, les trahisons, le décès de personnes proches, la maladie, le poids des années, la difficulté de trouver sa place dans la société… Chaque spectateur ne pourra que se sentir proche de ces personnages,s’identifiant partiellement à eux et se reconnaissant dans tout ce qu’ils doivent affronter.
Le tour de force d’Adam Elliot, comme dans Harvie Krumpet, c’est d’arriver à condenser l’existence de deux individus en un temps aussi bref, sans rien omettre de l’essentiel, et d’aborder nombre de sujets graves, existentiels, avec une légèreté qui laisse pantois. Car à lire le résumé de l’œuvre, on pourrait penser qu’il s’agit d’un film sordide et déprimant. Et pourtant, il n’en est rien.
Bien sûr, l’œuvre dégage une certaine mélancolie, émeut et révolte même parfois. Et l’ambiance visuelle du film n’est guère joviale puisque le cinéaste a opté pour une quasi-absence de couleurs dans son film. Le New York de Max est tout en nuances de gris, noir et blanc. L’univers de Mary est à peine plus gai, rendu dans des tonalités sépia/ocre qui rappellent la couleur de sa tache de vin. La seule couleur autorisée à sortir de cette unité chromatique étant le rouge, couleur de l’amour, de la passion et/ou de la mort.
Mais Mary & Max, grâce à sa mise en scène inventive, précise et sensible, dégage une grâce infinie, une poésie aérienne, et véhicule une énergie communicative. On sent que le cinéaste s’est beaucoup investi dans son projet, qu’un lien intime, viscéral le rattache à ses personnages. Et pour cause : le film s’inspire grandement de la relation épistolaire qu’Adam Elliot a entretenue pendant plusieurs années avec un « aspie » newyorkais.
Chaque plan est donc ciselé avec une finesse rare, est saturé de tendresse, mais aussi d’un humour qui fait voler en éclat les préjugés, qui permet d’accepter les événements les plus graves. On suit avec plaisir et admiration les aventures de ces deux personnages en pâte à modeler presque plus expressifs que de vrais acteurs. Car techniquement, le film est aussi à la hauteur de ses ambitions. Pour parvenir à une telle précision dans les détails, nul doute qu’Elliot et son équipe ont abattu un travail considérable au cours des quatorze mois de tournage et des cinq ans de préparation qui les ont précédés…
Outre la finesse de son animation et la beauté de son design visuel, le film peut aussi s’appuyer sur un environnement sonore réussi. Son casting vocal, déjà, qui réunit Toni Collette (Mary), Philip Seymour Hoffman (Max) et Barry Humphries (le narrateur). Sa bande-originale, ensuite, qui mixe des airs connus revisités (dont une version angoissante de « Que sera sera (whatever will be)» par Pink Martini), des morceaux classiques et des compositions originales de Dale Cornelius.
Et si cela ne suffisait pas à faire votre bonheur, cette fable sur la différence et les rapports humains vous propose aussi un petit jeu de références cinéphiliques. A vous de repérer les différents clins d’œil adressés à des films et des artistes majeurs – ou non – de l’histoire du cinéma. Par exemple, la silhouette d’une femme élégante traînant dans les rues de New York au petit matin fait immanquablement penser à Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé ; une des scènes où Max tape sur sa vieille Underwood reprend la musique du sketch de la machine à écrire de Jerry Lewis ; dans une autre, il arbore un T-shirt « Save Ferris », hommage à Ferris Bueller, le personnage créé par le regretté John Hughes ; un hommage à Zorba le grec et bien d’autres citations encore…
Intelligent, subtil, beau, drôle, poétique, tendre, bouleversant, entraînant, rafraîchissant,… Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire ce film admirable, mais ne peuvent en restituer la force. Alors dépêchez-vous d’aller rencontrer Mary & Max dans les salles obscures. Il s’agit, vous l’aurez compris, d’un chef d’œuvre…
Note :