Dans la première nouvelle qui a donné son nom au titre du livre, nous suivons Mikage, jeune femme de 20 ans, les mois qui suivent la perte de sa grand-mère, unique personne restante de sa famille. Prostrée dans la cuisine, car pièce où toute son affection se porte, elle va progressivement reprendre goût à la vie et aux mets savoureux en habitant chez une mère et son fils, les TANABE. Nous pourrions avoir peur de s’embourber dans une atmosphère glauque et triste, et pourtant non. YOSHIMOTO nous offre un panel de sensations au dessus de la seule souffrance. Ici les paroles, les gestes du quotidien, les attentions sont d’une extrême importance. Que la maman, Eriko, de ce jeune homme, Yûichi, initiateur de l’hébergement, soit en réalité une femme est ici un détail anatomique. Pas de puritanisme, ni de tabou. Les personnes ne sont que leurs personnalités et elles rayonnent.
Mais quel rapport avec la cuisine ? Tout d’abord un rapport comme fraternel. Mikage aime les cuisines, cette pièce où les produits bruts vont devenir des mets pour elle, pour ses proches. Se nourrir c’est se garder en vie, c’est offrir aussi. De végétative, seule dans la maison de sa grand-mère défunte, à dormir à côté du réfrigérateur, Mikage devient une active cuisinière, centre d’un foyer déjà entier. De plus les repas sont choisis, sélectionnés, savourés et offerts comme un présent de choix. Et là, faire la cuisine est un art d’être au monde et à l’autre: “Dans l’ascenseur qui montait, Yûichi m’a dit: “Il doit bien y avoir un rapport, non?
- De quoi tu parles.
- Par exemple, quand tu viens de voir un superbe clair de lune, ça doit bien se répercuter sur la cuisine que tu fais? … Attention, je ne parle pas d’un rapport indirect, comme l’envie de préparer des tsukimi-udon [littéralement, “nouilles où on voit la lune”. Il s’agit d’une soupe aux nouilles coiffée d’un œuf sur le plat]…”
L’ascenseur s’est arête avec un tintement métallique, et j’ai eu soudain la sensation que mon Cœur se vidait. En marchant dans le couloir, j’ai demandé:
- Tu veux dire: un rapport plus fondamental?
- C’est ça! Quelque chose de plus personnel…
- Oui, c’est tout à fait vrai! Ca existe!” me suis-je écriée immédiatement.”
“Kitchen” a une suite, “Kitchen 2” ou “La pleine lune”. YOSHIMOTO offre là un nouveau sursaut de vie après la mort. Que faire quand le rayon de soleil d’une famille part en plein vol? Se raccrocher à ce que nous pouvons, au passé, pour aller de l’avant. Redéfinir les relations dans cet espace nouveau. Est-ce un lien fraternel ou amoureux qui va découler de cette nouvelle perte? Dans ce second volet, la cuisine (en tant qu’art) prend une nouvelle place. Il s’agit maintenant d’un métier, d’une profession, d’une rigueur. C’est toujours prendre goût à la vie mais aussi aimer.
Dans la seconde nouvelle “Moonlight shadow”, Satsuki a perdu son petit ami dans un accident de voiture. Elle est encore avec les repères d’avant, en continuant à fréquenter le frère de ce dernier, atteint à double niveau (perte de son frère et de sa petite amie présent aussi dans le véhicule). Nous allons de l’avant d’une autre manière, active. Satsuki se nourrit moins et part courir tous les matins pour se décrasser l’esprit.
Une rencontre sur un pont va chambouler le cours monotone des jours. Urara, cette autre demoiselle japonaise, à l’aura lumineuse, dispose comme des petits cailloux blancs d’éveil et laisse envisager un rendez-vous fantastique, un lien entre le ciel et la terre, entre le monde des vivants et celui des morts, le phénomène de Tanabata.
Ici point trop de cuisine mais bien un thermos, un contenant de thé, pour se réchauffer. Parti dans le fleuve, réoffert aussi comme un don précieux, un lien amical, la boisson chaude comme une sève de vie.
Le deuil est ainsi le sujet mais d’un côté, comme une base à se recréer, de l’autre comme un adieu à faire, ce roman offre alors une nouvelle mesure aux conventions du deuil, la nourriture et le fleuve ont leur importance mais autrement. Les personnes accompagnantes sont précieuses, de véritables soleils, personnes incarnées et rayonnantes, à l’identité trouble aussi (sexuée ou autre). Le deuil est alors remis au cœur du cycle de vie, comme une souffrance, grande, importante, et pourtant surmontée.
“Ta grippe, a dit calmement Urara en baissant un peu les paupières, est en ce moment dans sa phase la plus dure. C’est sans doute même plus pénible que la mort. Mais après, les choses ne vont sans doute plus empirer. Parce que les limites de chacun ne variant pas. Peut-être que tu attraperas encore des tas de grippes, et que tu auras à affronter d’autres moments comme ceux-ci, mais si tu t’accroches, ce ne sera jamais plus éprouvant que cette fois. Les choses fonctionnent toujours de cette façon. Bien sûr, on peut se décourager à l’idée que les ennuis vont se répéter, mais on peut aussi penser que ce n’est pas plus grave que ça, et alors les choses deviennent moins pénibles, non?” Et elle m’a souri.
Les yeux ronds, je suis restée muette. Est-ce qu’elle me parlait uniquement de la grippe? Est-ce qu’elle essayait de me dire autre chose? …”
Les personnages très jeunes, pas encore sortis de chez leurs parents, sont aussi à une étape particulière de leur vie, là où les choix permettent de se trouver. Comme si cela se passait en une nuit, éveillée, de pleine lune, et qu’au lever de soleil, la vie d’adulte, la vie avec et sans, se réveillait.
Rose nous livre sa vision, entre fantastique et brouillage d’identité pour illuminer encore la vie, je ne peux qu’être d’accord et adoré aussi cet incipit.
Katell nous livre un peu plus de cette sensation de rentrer dans les cuisines et de cette sérénité d’être là aux petites choses
Un très bel avis est proposé là, reprenant les thèmes chers à Banana YOSHIMOTO
Dans cet avis là, l’amour et la mort prédominent, ici le deuil et enfin là pour avoir une petite idée de l’auteure. Ce sont là, en effet, deux histoires pour continuer à vivre, pour passer de la douleur foudroyante de la perte à celle lancinante des mois du deuil et enfin à la nostalgie du souvenir: merci encore Lily