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Hareng saur

Publié le 20 octobre 2009 par Marc Lenot

Le baron Ensor, écorché vif, peintre de caricatures, de grotesques, de masques, de squelettes, adepte de curios et de jeux de mots (celui du titre est de lui, ‘art Ensor’), est l’objet d’une rétrospective au Musée d’Orsay (jusqu’au 4 février) où je suis allé sans grand enthousiasme, pour être franc. J’ai assez goûté l’impressionnisme lumineux de ses débuts, les ciels flamands tourmentés et les tourbillons de lumière. Mais j’étais prêt à parcourir les salles à grands pas, n’y trouvant ni surprises, ni éblouissements, quand un tableau m’a arrêté net.

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Est-ce une simple esquisse ? Je ne crois pas, même si le trait d’Ensor est souvent incertain, ce tableau est construit et terminé, il me semble. Mais ce Foudroiement des Anges Rebelles est le plus inachevé de toutes les toiles montrées ici. Entre Adam et Eve chassés du Paradis terrestre (1887) et le Christ apaisant la tempête (1891), ce tableau de 1889 est une explosion de couleur où le sujet est à peine discernable. Dans un tumulte effervescent, au milieu de fulgurances rouges, on distingue des formes humaines indécises, courbées vers le sol, écrasées par la lumière divine qui éclate sous une voûte céleste aux couleurs de l’arc-en-ciel. De plus érudits que moi sauront trouver des correspondances chez tel peintre moyenâgeux, ou chez Bosch; j’y vois des relents de jugement dernier, mais nous sommes là au jugement premier, à la rébellion de Lucifer et au rejet de ses disciples (il est souvent question de foudroiement, d’exil, de rejet dans les scènes religieuses d’Ensor). Ce tableau transcende le symbolisme un peu convenu de ses couchers de soleil post-Turner, il dépasse les deux tableaux bibliques qui l’encadrent, il semble témoigner d’une explosion, d’une perte de contrôle de l’artiste laissant libre cours à ses pulsions, à sa rage ou à sa passion, comme Pollock le fera 60 ans plus tard.  

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Orsay vient aussi d’inaugurer une exposition sur les descendances de l’art nouveau, psychédélisme, B.D., mode et ‘design organique’, dont on se demande un peu ce qu’elle fait ici. Heureusement, la première salle est dédiée aux surréalistes, et à leur hommage ambigu et ironique aux volutes de Guimard & co, avec de belles photos de Brassaï (l’une est légendée “la base molle de cette colonne semble nous dire ‘Mange-moi !”). Le texte de Dali sur (et autour de) Gaudi, ‘De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture Modern’Style’ aurait mérité d’être présenté en entier, mais il est ici dans son jus (Le Minotaure de décembre 1933), face aux photos de sculptures involontaires de Brassaï, dont celle en haut à droite est légendée : “Billet d’autobus roulé, trouvé dans la poche d’un bureaucrate moyen (Crédit Lyonnais), caractéristique du Modern’Style.” Au moins, comme dit Dali dans une autre vitrine, on préfère le génie sublime de Gaudi à la face protestante de Le Corbusier.

Sinon, j’espère que ce n’est pas par des expos de ce type qu’Orsay compte compenser la décision du nouveau président de ne plus y montrer les confrontations avec l’art contemporain, qui étaient souvent si réussies.

Ensor étant représenté par l’ADAGP, la reproduction de son tableau sera ôtée du blog à la fin de l’exposition, mais restera visible sur ce site, très complet.


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