Mardi dernier, ami lecteur, devant la quinzaine d'ostraca figurés de Deir el-Medineh disposés à l'avant-plan de cette première vitrine de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, après vous avoir succinctement expliqué et l'origine du terme lui-même et celle des pièces exposées dans différents musées européens, je vous avais donné rendez-vous ce matin pour, plus en détails maintenant, commencer à envisager la petite collection ici réunie, évoquant le thème de l'élevage.
D'emblée, je voudrais attirer votre attention sur le fait que si, comme moi, vous vous êtes précédemment déjà intéressés à cette vitrine, et si vous vous souvenez des ostraca qui y étaient présents, vous remarquerez que quelques-uns d'entre eux semblent avoir disparu sans laisser d'adresse - je veux dire sans que soit comblé l'espace demeuré vide par un petit carton spécifiant la raison pour laquelle ils ne sont plus à leur place : réfection ou prêt pour une exposition dans un autre Musée.
Rien de tel aujourd'hui : pas de notes explicatives à ces "disparitions".
Tout de go, je vous avouerai que, quand j'ai effectué cette visite préparatoire en juin dernier, j'ai quelque peu mené mon enquête et, en "fouillant" ici et là, ai trouvé réponse à mon interrogation : aux fins d'illustrer un autre thème ailleurs, ils ont été retirés de notre vitrine pour être emmenés à l'étage, dans l'antépénultième salle du département, la vingt-huitième, où probablement sur les instances de Christophe Barbotin, plus spécifiquement Conservateur de cet espace sud-est du premier étage, salles 24 à 30, pratiquement juste au-dessus de nous, ils sont maintenant présentés à l'intérieur d'un meuble vitré qui, rien d'étonnant, capte avec avidité la luminosité de la Cour Carré filtrant à travers la fenêtre devant laquelle il a été placé.
C'est donc là qu'après notre entretien d'aujourd'hui, vous pourrez vous rendre si, d'aventure, vous désirez découvrir d'autres fragments semblablement décorés.
Je profite de l'occasion, belle à mes yeux, d'à nouveau réitérer mes remerciements les plus appuyés à la conceptrice du blog Louvreboîte qui a bien voulu me faire parvenir quelques-uns des clichés en gros plan des ostraca de la vitrine 1 présentés dans cet article et les
deux prochains, me permettant par la même occasion d'éliminer ceux, parfaitement flous, que j'avais personnellement réalisés, mais aussi de confirmer avec netteté l'absence donc de certains
fragments de calcaire, par rapport à mes notes des années précédentes et, par rapport au site du Louvre qui, apparemment, n'a pas encore été mis à jour puisqu'il les cite toujours comme faisant
partie de cette salle 5.
Ceci étant souligné, partons à la découverte de ces éclats de calcaire décorés voici quelque 3300 ans.
Les exemplaires de la tablette de droite, à l'avant-plan, offrent des scènes où interviennent encore des bovidés, taureaux et veaux. Sans plus m'étendre maintenant sur leurs conditions d'existence, - j'espère que les précédentes interventions dans lesquelles j'ai évoqué cette famille d'animaux auront entièrement répondu à votre attente -, je vous propose simplement de passer en revue les dix morceaux de calcaire ici devant nous.
Deux d'entre eux, placés aux extrémités de la dernière rangée, - et, par parenthèses, offerts au Louvre par Michèle et David Streitz -, n'ont pas reçu de numéro de référence ou plutôt, il a été oublié de les assortir du petit cartel d'identité traditionnel. En outre, si la base de données consultable sur le site du Musée mentionne quant à elle ce numéro d'inventaire, il n'en est pas proposé de reproduction. Aussi, ami lecteur, devrez-vous aujourd'hui vous contenter d'un dessin, malheureusement non coloré, réalisé jadis par l'égyptologue française, Madame Jeanne Vandier d'Abbadie, pour le catalogue des ostraca figurés de Deir el-Medineh qu'elle avait publié.
Le premier éclat de calcaire (N 1562), à l'extrémité gauche de la rangée du haut donc, représente un taureau marchant vers la droite accompagné, au second plan, d'un bouvier qui lui tient la corne de la main gauche, la droite étant posée sur le dos de la bête décorée : ce détail, souvenez-vous, nous autorise à penser qu'il la menait au sacrifice.
Coiffé des trois mèches frisées typiques des Nubiens au crâne par ailleurs complètement rasé, l'homme porte une jupe plissée et une amulette de coeur sur la poitrine. Détail supplémentaire intéressant : un sorte de rosace orne l'encolure du taureau. Depuis le Nouvel Empire en effet, la ferrade était devenue une tradition : les bovins marqués ainsi au fer rouge pouvaient facilement être identifiés par rapport à un propriétaire, souvent d'ailleurs un temple d'Amon.
A l'autre extrémité de cette même rangée, le second ostraca dépourvu de cartel, (E 14302), représente lui aussi un taureau, mais cette fois se dirigeant vers la gauche, et précédé de son gardien qui le tire par une corde.
Vêtu d'un pagne s'arrêtant aux genoux, portant les cheveux longs, il tient de la main gauche le bâton recourbé typique de sa profession.
Entre ces deux exemplaires d'une même scène, une vache, cette fois, suivie d'un bouvier qui la tient par une longe, tous deux se dirigeant vers la droite est dessinée à l'encre rouge sur un ostracon (E 14344) de 7, 4 cm de haut, de 10, 7 cm de long et d’une épaisseur de 1, 26 cm.
A l'autre extrémité, le seul exemplaire de notre série portant une inscription faisant référence au bouvier et au bétail dont il s'occupe (E 7661).
Devant nous, à droite, le tout premier ostraca, (E 14367), figure, pour sa part, un taureau sauvage chargeant son gardien : le mouvement imprimé par l'artiste aux deux pattes antérieures de l'animal, l'attitude effrayée de l'homme, les deux mains levées comme pour se protéger de l'assaut, le bâton brandi dans la main droite ne font aucun doute quant à la lecture que l'on peut apporter à cette scène.
Toutefois, ce sujet en définitive rarement traité dans l'iconographie égyptienne, paraît fort peu représentatif de la réalité : l'on devrait, me semble-t-il, plus certainement voir l'animal fonçant sur le personnage en mauvaise posture, tête baissée et cornes menaçantes ...
C'est un peu la même scène que l'on retrouve, juste derrière, à la deuxième rangée, sur l'ostracon de droite (E 27668), ayant appartenu à un autre égyptologue français, Alexandre Varille (1909-1951), puis acquis par le Louvre en 1994 : d'une hauteur de 8, 3 cm pour 10, 7 de long, il nous montre un jeune bouvier essayant de capturer un taureau sauvage à superbe pelage rouge et noir.
C'est plus naturellement qu'ici, il a disposé sa corde au creux de son bras; cette même corde que, très bizarrement d'ailleurs, l'artiste précédent a placée, telle une auréole, au-dessus de la tête du bouvier.
Dans le même registre, mais nettement moins réussi, vous remarquerez celui aux traits noirs (E 25305), à sa gauche, - don également de Michèle et David Streitz -, qui relate le combat d'un Asiatique avec un taureau sauvage.
Toutes ces pièces que nous venons d'évoquer, ami lecteur, vous l'aurez vraisemblablement remarqué, ont la particularité d'être des scènes composées. Deux ostraca, toutefois, dérogent à cette "règle" : c'est d'abord, au milieu de l'avant-dernière rangée, E 14304.
Mesurant 7, 14 cm de haut et 9, 69 de long pour une épaisseur de 1, 87 cm, ce fragment de calcaire fut exhumé de la couche ramesside des chapelles votives que Bernard Bruyère fouilla sur le site de Deir el-Medineh en 1929. Il sert de support pour un dessin noir d’un taureau demi-sauvage, à l’oeil furieux, à l’encolure puissante, aux cornes courtes et très larges à la base, se rabattant vers l’intérieur en croissant de lune et présentant, comme les zébus, une bosse dans la nuque.
Sachant qu’à partir du Nouvel Empire, une des épithètes mentionnées dans la titulature royale était "Taureau victorieux, Taureau puissant", nous ne nous étonnerons donc pas d'avoir aujourd'hui croisé à plusieurs reprises la massive silhouette de cet animal reproducteur, la puissance créatrice étant une des qualités que Pharaon désirait s’attribuer.Et puis, - le meilleur pour la fin ? -, ce dernier, à gauche, ici tout à l'avant-plan (E 27669), de 5, 30 cm de haut et 6, 70 de long, assurément mon préféré : un adorable petit veau gambadant et déféquant.
D'autres animaux, singes domestiqués et chevaux complètent cette petite collection d'ostraca figurés : je vous propose, ami lecteur, de revenir ici, devant la vitrine 1 de la salle 5, samedi prochain 27 octobre, pour que nous puissions ensemble accorder aux premiers toute notre attention.
(Andreu : 2002, 102-3; Andreu/Rutschowscaya/Ziegler : 1997, 148-9;
Desroches Noblecourt/Vercoutter : 1981, 257; Vandier d'Abbadie : 1937,14-33; 1946 : 1946, 22-31 et 1959,
planches XI à XVIII)
Si d'aventure vous avait échappé l'un ou l'autre des articles précédemment consacrés aux bovidés auxquels je faisais allusion en début de cet entretien, permettez-moi de simplement vous en rendre dates et liens : 19 mai, 8 septembre, 29 septembre et 6 octobre.