Arriver en retard à la séance n’est pas exceptionnel, ni honteux, rater de la pub et des bandes-annonces étant tout à fait excusable (même si voir les bandes-annonces sur grand écran est un plaisir constant). Ce qui en revanche est exceptionnel et, à défaut d’être honteux, vache et énervant, c’est qu’un cinéma ne respecte pas les délais de lancement de la projection d’un film. Depuis près de quinze ans que je fréquente l’UGC Ciné Les Halles, jamais, jamais je n’ai vu un film démarré moins de 15 minutes après le début de la séance.
Eh bien samedi après-midi, il semble que le projectionniste ait eu peu de bandes-annonces et publicités à montrer aux spectateurs, puisqu’au moment où je mettais les pieds dans la grande salle 6, précisément huit minutes après le début de la séance (j’ai regardé, devant la surprise de ce qui se passait), la salle s’éteignait, le logo UGC passait, et le film s’apprêtait à commencer. Se farcir moins de publicités avant un film, c’est toujours appréciable, mais lorsque la salle ne compense pas par quelques bandes-annonces pour commencer le film à l’heure attendue, cela met quelques spectateurs, dont moi, dans l’indélicatesse d’être en retard tout en étant à l’heure (pour le film).
Résultat, le logo du distributeur du film s’affichait juste, précédent le début du film, lorsque je repérai mon ami Michael installé au cinquième rang me gardant une place. Je fus obligé de passer devant une femme passablement énervée de me voir aller chercher cette place plutôt que de me poser dans un coin où je ne dérangerais personne, soupirant et grognant à mon passage. « Le film est même pas commencé connasse » m’a traversé l’esprit, mais bon moi aussi je suis parfois maniaque en salle, alors bon, je gardai la réplique pour moi. D’autant que j’allais sans le savoir m’asseoir à deux places d’une connasse de compétition qui fait passer la simple râleuse pour un ange.
Installé, je me trouvais avec à ma droite un homme, quinqua bien tassé, et sa femme à côté de lui. A les voir, on aurait pu les prendre pour des cinéphiles sages. Alors qu’en fait derrière cette façade bien policée se cachaient des emmerdeurs n’ayant rien à envier à des ados de 15 ans ou à un grand sceau de pop-corn consommé bruyamment. J’exagère à peine. Surtout elle. Comment ? Madame s’est montrée aussi pipelette que Matt Damon dans The Informant. Inlassablement, continuellement, il lui fallait commenter le film. Et lorsque je dis commenter le film, il ne s’agit pas de se pencher discrètement à l’oreille de son compagnon pour lui murmurer ce qu’elle pensait discrètement.
Non, madame opérait comme si elle était dans son salon et qu’il n’y avait pas 200 personnes avec elle dans la salle. Une plaque d’immatriculation 13 apparait à l’écran ? « Oh, ça se passe du côté de Marseille ! ». Le vent souffle dans les cheveux de Vincent Lindon ? « Tiens, le Mistral !! ».
OOOOOOOOH !!!!! C’est pas vrai ça !? Ceux qui ont vu Mademoiselle Chambon devineront à quel point un tel comportement agace facilement pour un tel film, délicat, économe de mots, instaurant une atmosphère, filmant les gestes, les regards, avec justesse et précision. Le genre de film par-dessus lequel les commentaires de la voisine de salle donnent des envies de meurtre…
Mais madame était imperturbable dans sa projection privée du film. Mes « Oooooh ! », « Tsssssss ! » et « Chhhhhhhhh ! » et regards noirs n’y ont rien changé, sinon quelques minutes de répit avant qu’elle ne reprenne comme si de rien n’était. Le comble fut lorsque le film se termina, qu’elle se leva et passa devant moi pour sortir. Je déplaçai légèrement mes jambes pour la laisser enfin partir (bon débarras !), quand elle me regarda avec un grand sourire et me dit « Merci ». Là, je lui aurais décroché la tête sans le moindre remord. Je me dis que parfois, je suis trop civilisé…
Ce ne fut ni la première, ni la dernière des spectatrices à tenter de me gâcher un film. J’espère tout de même que la prochaine, ou bien sûr le prochain, n’arrivera pas de sitôt… ou alors devant une futilité sans intérêt autre que le divertissement.