Constance n'aime lire qu'un seul et unique auteur: Romain Gary. Elle savoure lentement ses romans afin de faire durer ses lectures: les trente-et-un romans publiés sous divers pseudonymes ne se lisent pas à la suite!!! Seulement, si Constance ne souhaite pas épuiser trop vite le "stock" de lecture de son écrivain fétiche, il lui faut lire autre chose...lire oui mais quoi? Elle se rend alors à la bibliothèque de son quartier, s'y acquitte de sa cotisation et commence à farfouiller dans les rayons. Elle emprunte au hasard trois romans....qu'elle ne peut lire jusqu'au bout car Romain Gary est encore trop présent. En relisant quelques passages d'un des romans, Constance tombe sur une phrase soulignée au crayon à papier, phrase qui semble s'adresser à elle "Y’a mieux pour vous !" . Qui a pu tenter de lui laisser un tel message? Qui est cet homme qui souligne, au mépris de l'interdiction, dans les romans? Commence alors une partie de cache-cache, une enquête surprenante tissant au fil des romans de Dostoïevsky, Nimier ou Romain Gary, une histoire d'amour peu commune.
Au gré des emprunts suggérés par le mystérieux souligneur, Constance se construit une histoire sentimentale, se prend à rêver de l'homme qui lui laisse des messages et se lance à lui répondre en soulignant à son tour des phrases dans les livres. Elle imagine cet homme, son âge, son apparence, ses goûts, ses habitudes, en s'interrogeant sur sa véritable réalité: existe-t-il vraiment ou est-elle en train de lire des dialogues imaginaires d'antan? Constance passe par des phases alternant espoir et désespoir, se débat entre son ennui et son désir d'établir une liaison amoureuse, de briser sa solitude, alors, prise de frénésie de rangement, de ménage ou de frais de toilette, elle déambule de la bibliothèque à chez elle, perplexe et enthousiaste, triste ou heureuse.
"Le souligneur" est une histoire plaisante, reposante, même si l'héroïne est très centrée sur elle-même tout en embarquant son petit monde (la copine, l'ami de son père, la bibliothécaire ou l'étudiant en lettres) dans son histoire d'amour, même si l'issue du roman peut paraître attendue voire simpliste. On lit ce court roman sans se lasser car l'auteur plonge son lecteur, avec habilité, au coeur de la littérature et dans une des antres bien connue des lecteurs à l'appétit d'ogre....la bibliothèque, lieu magique des rencontres improbables, insolites ou toujours rassurantes avec les auteurs inconnus ou pas et leurs oeuvres.
J'ai aimé cette idée saugrenue au premier abord, d'une histoire de séduction amoureuse par phrases soulignées interposées....un romantisme feutré et troublant autour de la littérature. Et puis comment résister au personnage de Gisèle, la bibliothécaire aux allures de Cerbère, assenant le règlement, triomphalement, avec un zeste de regard noir, intimidant le béotien qui vient s'inscrire. Nous avons tous rencontré une Gisèle lors de nos fréquentations de bibliothèques municipales, une Gisèle qui guette la moindre infraction au code de bonne conduite du lecteur , une Gisèle qui rageusement gomme les phrases soulignées par un irrespectueux! Quant au souligneur....le lecteur restera dans l'expectative tout comme Constance...le souligneur restera ce personnage mystérieux, cette Arlésienne de la bibliothèque et sans doute est-ce mieux ainsi: le bonheur est souvent devant nos yeux sans que nous le sachions!