Le vent mauvais qui souffle sur la France ne devrait pas ébouriffer le grand blond avec des chaussures noires qui fait fonction de ministre de l’intérieur. Fouché en herbe à l’humour douteux, Brice Hortefeux, ardent défenseur des auvergnats a encore sévi. Deux nouvelles “bases de données” destinées à renforcer les moyens d’enquête de la police ont été créées par des décrets publiés dimanche au Journal Officiel.
La méthode devient classique pour le gouvernement. Attendre un fait divers, s’en saisir et faire passer à la hussarde et en catimini un texte qui attendait au chaud son heure dans un tiroir. A défaut d’être brillant, Brice Hortefeux est un ministre laborieux et appliqué. Il rebondit ainsi opportunément sur les incidents survenus le 10 octobre à Poitiers n’hésitant pas à faire porter la responsabilité des désordres au maire de la ville. Dans une lettre au député-maire de Poitiers Brice Hortefeux a regretté, “l’attitude non coopérative” de la ville et sa “fin de non recevoir” à l’aide sollicitée par les services de renseignement deux jours avant la manifestation violente du week-end.
A en croire le ministère de l’Intérieur, la France a peur. Suffisamment pour balayer d’un revers de main toutes les critiques qui dénoncent une dérive liberticide.
Le retrait du fichier Edvige fin 2008 qui prévoyait de collecter des renseignements sur les opinions politiques ou la sexualité n’a pas découragé les adeptes du fichage généralisé. Les “bases de données précises” qui viennent de voir le jour portent d’une part sur les atteintes à la sécurité publique en ciblant bandes, hooligans et groupuscules et, d’autre part, sur les postulants à des fonctions dans la police, la gendarmerie ou sur des sites sensibles.
Une circulaire adressée dimanche aux préfets et dont l’AFP a eu connaissance dresse la liste des données enregistrées et des dérogations éventuelles, comme celle permettant une référence à l’origine géographique, “parce que l’appartenance à un même quartier ou le partage d’un lieu de naissance peuvent jouer un rôle déterminant dans les phénomènes de bandes“, explique la place Beauvau.
Cette disposition inquiète plusieurs organisations. SOS Racisme demande que le gouvernement retire de l’article 3 du décret la dérogation portant sur l’origine géographique des personnes. Remplacer le critère ethnie par origine géographique, “c’est nous prendre pour des abrutis“, a déclaré Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme. L’association parle de trahison du ministère de l’Intérieur qui avait accepté l’an dernier une recommandation de la commission Bauer visant à exclure des fichiers les données relatives aux origines raciales ou ethniques.
La forme retenue, un décret publié un dimanche, a suscité l’ire du PS qui a demandé l’adoption d’une législation et donc un débat au Parlement. “La méthode choisie est une fois de plus celle d’un pouvoir qui veut passer en force sur tout, tout le temps, qui refuse le débat démocratique, écrase le parlement et sa propre majorité“, a déclaré la député socialiste Delphine Batho qui rappelle dans un communiqué qu’un consensus avait émergé quant à la nécessité de légiférer sur les fichiers de police.
De fait, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté en mars un rapport proposant 57 propositions pour mieux encadrer l’usage des 58 fichiers de police et de gendarmerie officiellement recensés dans le pays afin, “d’assurer “le strict respect des droits et libertés des citoyens, mais aussi la performance des instruments“.
Les parlementaires suggéraient notamment de proscrire définitivement le fichage des élus, militants syndicaux ou associatifs, d’encadrer strictement le fichage des personnes mineures, d’améliorer la mise à jour des fichiers afin de limiter les erreurs et de sécuriser davantage l’accès des enquêteurs à ces outils, pour empêcher toute vente de données.
Les fichiers posent le problème de leur accès et de leur mise à jour. Des personnes innocentées ou relaxées peuvent ainsi demeurer dans les fichiers. Alex Türk, président de la Commission nationale informatique et liberté, estime que, “sur environ 30 millions de personnes fichées au Stic, plus d’un million ne devrait pas y figurer” et, “qu’une quinzaine de fichiers ont une base légale douteuse ou n’en ont aucune“.
Cette propension à la collecte de données est parfaitement illustrée par la multiplication des fichages ADN et, à son corollaire, la multiplication des procès pour refus de prélèvement.
Ils sont en effet de plus en plus nombreux à refuser de figurer dans le Fichier national des empreintes génétiques, le Fnaeg. La sénatrice Marie-Christine Blandin (Verts) se déclare effrayée par les conséquences du fichage génétique et fait le tour de France des tribunaux pour soutenir les récalcitrants.
La procédure est toujours la même. Une convocation au commissariat ou à la gendarmerie pour offrir un échantillon de salive. Le refus considéré comme une infraction passible d’un an de prison ferme et de 15 000 euros d’amende. 519 récalcitrants ont été condamnés en 2007.
La politique de fichage génétique a été élargie en 2003 lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur. Les infractions banales et les personnes suspectées ont été introduites, la sanction pour refus a été alourdie, et surtout les officiers de police judiciaire ont été habilités à ordonner un prélèvement, alors que seuls les magistrats avaient ce privilège.
Un contexte à apprécier à l’aune de la phrase prêtée à Benjamin Franklin :”Celui qui est prêt à sacrifier un peu de liberté pour obtenir un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre.”
Crédit photo: Wikipédia
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