L'intention, par Gérard Larnac

Par Gerard

Lorsque j’étais au lycée, toute lecture s’accompagnait traditionnellement de la fameuse question : « Quelle est l’intention de l’auteur ?». Cela nous semblait le moindre des égards vis-à-vis d’un texte. Il apparaît aujourd’hui que cette simple marque de courtoisie, voire d’amitié parfois, n’est plus de mise, au profit de problématisations autrement plus sérieuses : « Combien l’auteur a-t-il vendu d’exemplaires ? »

De sorte qu’auteur devenu, cette politesse ancienne m’a un peu manqué. Peu se sont interrogés en effet sur la nature exacte du roman « Le Voyageur français » (Ed.de l’Aube, 2009). En lecteur pressé (puisque la modernité des êtres se mesure désormais aux trépidations fébriles de leur agenda et à la consommation frénétique des « produits culturels »), on a préféré assimiler les tentatives d’inaboutissement du texte patiemment disposées à des défaillances, sa conspiration contre la narration à un défaut majeur, son apparition dans le milieu littéraire comme une petite incongruité. Il n’en manque pas, de défauts majeurs, mais il se trouve que ceux-ci ne sont pas de cet ordre.

Pressenti comme invité à une table ronde autour du thème des « destins littéraires des personnages» dans l’art romanesque contemporain, j’ai cru bon de saisir cette occasion pour revenir sur ce premier roman.

Mon récit en trompe l’œil aurait pu s’intituler Le Figurant. Il aurait pu exposer clairement son thème : un poète japonais se suicide, sa femme veut le rejoindre, elle va tenter de rejouer la scène fatale en la transformant, par passion amoureuse, en un suicide à deux. Il lui faut pour cela un « figurant ». Arrive un voyageur français. Acceptera-t-il le rôle, et jusqu’où ? Qu’est-ce que la femme attend de lui ? Où se place la limite entre le jeu et le réel ? Comment se fait et se défait le pacte phénoménologique ? Le récit joue du trouble des identités et de la tension suscitée par le constant vacillement entre l’apparence et la réalité : accepter le jeu ou pas. Bien entendu, c’est aussi un pied de nez au roman français tout empêtré dans ses affaires d’ego. Mais sous le récit, simple, très inscrit dans le Japon d’aujourd’hui, un tout autre texte. En inversant les perspectives, en tenant à l’écart le thème central pour ne s’intéresser, de façon fragmentaire, lacunaire, qu’à ses périphéries, c’est autre chose qui apparaît. Une écriture blanche. Impersonnelle. Une traversée de la neige.

Il faut considérer le texte comme une chose, avant même d’y rechercher un sens. Entrer dans l’objectalité scripturale qu’il propose, afin d’y méditer sa propre solitude, sa propre condition. Voir la pâte des mots et des pages, leur fragmentation, leur dislocation, leur recomposition, leurs accidents d’atelier. Voir avec l’œil comment tout ça compose un texte, avant même d’y postuler une signification possible. Cette quête d’un rapport juste à travers la puissance emmenante d’un objet d’art, dans toute sa matérialité méditative. Je n’écris pas des histoires, pas plus qu’il n’y a de motifs sur une toile de Soulages. Par conséquent les personnages n’y ont d’autre destin que le destin de l’écriture elle-même. 


Bibliographie :
 
http://poetaille.over-blog.fr/article-31690251.html