Premier acte
Eté 1982, Keith Haring fait son trajet quotidien entre son domicile et l'atelier qu'il occupe dans le quartier de SoHo, New York City. Passant au coin de Houston Street et de Bowery il observe un mur dégueulasse délimitant un ancien terrain de sport envahi par les détritus et les rats... Il décide alors de le peindre pour redonner couleurs et gaieté à ce quartier qu'il aime tant.
Partant du constat que personne ne s'est soucié jusque là de ce morceau de béton totalement laissé à l'abandon, il conclut qu'il n'est pas utile de demander l'autorisation à qui que ce soit pour lui offrir une nouvelle vie. Pendant deux jours, avec son pote Juan, il nettoie donc l'ensemble avec le plus grand soin, recouvre le mur d'une couche de blanc puis appose couleurs et lignes noires. Le tout dans l'indifférence générale.
Bientôt cependant la dite indifférence laisse place à l'émerveillement : pour l'occasion Haring, qui n'est d'ailleurs pas un habitué de ce genre de grandes fresques murales, a en effet utilisé des couleurs vives au possible, presque fluorescentes. C'est un véritable feu d'artifice permanent dans la grisaille de ce quartier.
Pourtant, à peine quelques semaines plus tard, Haring décide de recouvrir lui-même cette ode à la joie de vivre. Entre temps les couleurs ont perdu de leur éclat initial et l'artiste ne peut se résoudre à voir ses fameuses silhouettes de breakdancers et son non moins fameux visage hilare à trois yeux comme ternis par le soleil. La fresque restera cependant durablement encrée dans les mémoires de par sa qualité et sa taille exceptionnelle d'une part, et d'autre part parce qu'elle a été photographiée par des milliers de personnes, dont notamment Tseng Kwong Chi auquel Haring lui-même demanda de garder trace de son travail.
Deuxième acte
2008 : Haring aurait alors 50 ans si les années sida n'étaient pas passées par là. Afin de rendre hommage à son talent la Keith Haring Fondation et la galerie Deitch Projects décident d'unir leurs efforts pour redonner vie à cette oeuvre aussi prématurément disparue que son créateur. Avec le soutien de Goldman Properties, le propriétaire légal du mur, ils commissionnent donc Gotham Scenic pour faire réapparaître, exactement au même endroit que par le passé, la fameuse fresque de 1982.
Société spécialisée dans la confection de décors de théâtre, Gotham Scenic utilise comme matériau de base les clichés de l'oeuvre originale pris par Tseng Kwong Chi et, grâce à un procédé aussi high-tech qu'ingénieux, parvient rapidement à proposer un fac-simile de la fresque de Haring en lieu et place de l'original disparu. Le mur est inauguré le 04 mai 2008. Les new-yorkais comme les touristes n'en croient pas leurs yeux et bientôt le coin de Houston street et de Bowery devient un véritable lieu de pèlerinage pour tous les amateurs du peintre.
Troisième acte
Rapidement ils délaissèrent les rouleaux pour les sprays et commencèrent à créer leur propre oeuvre en lieu et place de celle de Haring. Il fut alors patent pour tout le monde que loin d'appartenir à une société de nettoyage ou d'être des vandales peu scrupuleux de l'histoire de l'art, les deux compères en action n'étaient autre que le duo brésilien Os Gemeos. Bientôt la galerie Deitch Projects revendiqua l'opération.
La nouvelle fresque ornant le mur au coin de Houston Street et de Bowery est désormais finie. Resplendissante et réalisée dans les couleurs chaudes et vives propres au collectif brésilien qui n'en est pas à son coup d'essai en matière de peintures monumentales, elle semble ainsi réaliser à sa manière le souhait initial de Haring : ensoleiller le quartier et lui offrir, à la manière d'une bague passée au doigt, un ornement à la hauteur de son charme. Loin de remplacer l'oeuvre de Haring dont ne demeurait finalement qu'une simple copie grandeur nature, elle lui rend au contraire le plus bel hommage qui soit en lui répondant à quelques dizaines d'années d'intervalle.
NB : L'exposition Keith Haring All-Over au BAM de Mons est ouverte jusqu'au 13 septembre prochain.