Affaire ZEVS contre Giorgio Armani

Publié le 23 juillet 2009 par Blogcoolstuff

Les faits sont aujourd'hui connus de tous : invité par la galerie Art Statements de Hong Kong pour y proposer une exposition personnelle de ses travaux (du 16 juillet au 30 septembre prochain), l'artiste français ZEVS s'est fait alpaguer par la police locale dans la nuit du 12 au 13 juillet dernier alors qu'il installait un de ses fameux "liquidated logo", en l'occurrence celui de la marque Chanel (sticker et peinture), sur la façade d'une boutique Giorgio Armani...

Comme on pouvait le craindre (faut-il rappeler que Hong Kong est revenu dans la giron chinois depuis 1997 ?) l'affaire a pris une bien mauvaise tournure puisque, alors que son procès a été reporté au 14 août prochain, son passeport lui a été retiré par le procureur Bina Chainrai de manière à ce qu'il ne puisse pas quitter le territoire jusque là. En outre la direction du shop Armani lui réclame pas moins de 6 millions de dollars hongkongais au titre des dommages et intérêts !

Visiblement paniqué par cette situation, ZEVS a mis en ligne un appel à l'aide assez pathétique sur Facebook :
"Ne sachant pas comment réagir Armani à annoncé plus de 6MHK$ de dégât, ce qui à déclenché un fort effet médiatique ici. Armani utilise la pierre calcaire de Saint-Maximin pour ses magasins. C'est une pierre très chère, il est vrai que ce n'est pas facile à nettoyer car elle est fragile et absorbe la peinture.
C'est la raison pour laquelle le bureau de design auquel a fait appel Armani à dit dans l'urgence avant mon jugement qu'il ne pouvait pas nettoyer et qu'il fallait reconstruire toute la façade.
J'ai de mon coté contacté l'entreprise avec qui j'avais fait la fresque propre sur le musée Danois, d'après eux c'est possible de nettoyer ce type de pierres à l'aide de produits chimiques et peut être un peu de gommage.

Nous sommes en train d'organiser les choses pour tenter le nettoyage de la quinzaines de pierres touchées ( à certain endroit il ne s'agit que de fines coulures : le logo était un autocollant ).
Je suis passé au tribunal la semaine dernière, mais naïvement j'avais accepté un avocat commis d'office. Il a mal géré ma défense. J'ai du rendre mon passeport : je suis donc bloqué en Chine.

D'après mon nouveau avocat Chinois, il serait très utile que je puisse avoir des lettres de soutien de personnalités influentes, disant qu' il y a un sens artistique dans mes actions, que je ne suis pas un mauvais gars et que cette action s'inscrit dans une continuité d'expositions et d'interventions à l'internationale, etc.

Ces lettres seront importantes pour faire prendre conscience au juge que l'intention était artistique et non criminel et que le "gag" à mal tourné.
J'espère vraiment pouvoir régler cette situation à l'amiable avec Armani et Hong Land et réussir à effacer la trace Chanel du mur Armani avant le 14 aout, date du prochain passage au tribunal.

Je suis en contact avec Agnes b. Si Christophe Girard, Antoine de Galbert ou Paul Ardenne peuvent formuler quelque chose ca m'aiderait beaucoup . . .

Signé : ZEVS
"
Il ne s'agit bien évidemment ici de juger, tranquillement installé devant mon mac, la situation d'un frenchy qui doit craindre de se voir embringuer dans une affaire à la "Midnight Express". Quand on voit l'ambiance qui règne dans un commissariat français, on ose à peine imaginer l'accueil qui a du lui être réservé par les autorités chinoises.
Il n'empêche, cette affaire et le SOS envoyé par l'artiste ne peuvent que susciter quelques réflexions dont la plupart, d'ailleurs, excède le seul cas de ZEVS.

Première remarque d'ordre purement factuelle : le message reproduit ci-dessus a été récupéré dans l'article que William Rejault a mis en ligne sur le site LePost ; il n'apparaît pas ou plus sur la page Facebook consacrée à ZEVS. Interrogé à ce sujet l'administrateur du dit groupe affirme n'être au courant de rien...
De ce fait on ignore si le dit message a été réellement mis en ligne sur cette page comme l'indiquent plusieurs sources. Si tel est le cas il a depuis été supprimé. Pour les mêmes raisons on ignore également si le message est ici retranscrit dans son intégralité. On peut d'ores et déjà noté qu'en l'état ZEVS n'y fait pas mention des deux comparses hongkongais qui l'accompagnaient dans sa virée nocturne et qui se sont fait embarqués avec lui. C'est dommage : on aurait bien aimé également connaître le sort réservé par la justice chinoise à ses travailleurs de l'ombre...
Plus fondamentalement ce qui interpelle dans cet appel à l'aide c'est l'écart entre la dimension subversive revendiquée de la démarche artistique (l'installation de Hong Kong avait pour objectif d'interpeller sur la guerre des marques et de le faire façon hors-la-loi) et l'adresse à l'establishment, dictée par les nécessités de la défense, dont témoigne le message de ZEVS.
Bien entendu, dans la cadre d'une défense devant les tribunaux, mieux vaut faire valoir des témoignages de soutien provenant de critiques reconnus plutôt que d'amitiés urbaines au casier judiciaire bien rempli. De même, quand il s'agit de réunir rapidement une forte somme d'argent, mieux vaut frapper à la bonne porte (quand on a la chance d'en connaître l'adresse) que de faire la manche devant Monoprix.
Il n'empêche que revendiquer son appartenance à une prétendue contre-culture et faire appel dans le même temps à l'establishment dans l'espoir de pouvoir se prévaloir de son soutien, cela ne fait pas très sérieux.
De même on est en droit de s'interroger sur le crédit à apporter à une démarche artistique visant à stigmatiser l'emprise des marques sur la société lorsqu'elle conduit à venir quémander son soutien à une autre marque (Agnès b. n'étant pas uniquement, que je sache, une mécène avisée). Cette guerre des marques là est bien curieuse qui voit se confronter Chanel à Giorgio Armani avec le soutien d'Agnès b.

Cette histoire a ainsi au moins le mérite de nous rappeler - si besoin en était - que les street artistes, même s'ils choisissent un domaine d'action non conventionnel sinon subversif (parfois même pour des motivations politiques), n'en sont pas moins de simples artistes et non des guerilleros ou de potentiels martyrs à la bonne cause (laquelle d'ailleurs ?) comme le donnent à penser certaines images d'Epinal aujourd'hui encore largement véhiculées.