Magazine Culture
Le body-painting est aujourd'hui une pratique généralement aussi créative et esthétique que le macramé ou le scrapbooking. Un peu partout dans le monde existent des associations de peintres sur corps s'exerçant le plus souvent sur la peau de leur copine ou de leur voisine et exposant leurs oeuvres mouvantes à l'occasion de conventions où bon goût rime avec opulente poitrine transformée en paire d'yeux grâce au talent et à l'inventivité des facétieux artistes.
Ce ne fut pourtant pas toujours (ou pour le moins pas seulement) le cas. Dans les années 60 et 70, nombre d'artistes firent des expériences en ce sens, utilisant le corps humain et ses spécificités morphologiques et plastiques comme support de création, parfois même aussi, à l'instar d'Yves Klein, comme moyen. Support ou moyen de la création, au bout du compte le corps en était toujours le sujet. Le body-painting était en effet alors perçu comme étant une forme de création artistique pouvant participer du mouvement de libération sexuelle : la ré-appropriation du corps passait ainsi par l'affirmation de son identité ne se réduisant pas à sa fonction de reproduction.
Dans les années 80 Keith Haring réactiva cette pratique alors tombée dans l'oubli. Que ce soit avec le chorégraphe Bill T. Jones et le photographe Tseng Kwong Chi (1982) ou avec la diva pop Grace Jones (1985), il retourna aux sources de cet art (les peintures tribales) en faisant subir à ses supports-modèles - indifféremment masculins et féminins - un traitement à l'esthétique vaudou.
On est malheureusement bien loin de ces expériences artistiques prestigieuses avec la ré-appropriation actuelle de cette pratique par des artistes issus de la street culture. Le tendance contemporaine à la customisation de tout et de n'importe quoi n'a en effet pas manqué de porter ses fruits pourris en ce domaine comme en tant d'autres. A la manière boulimique d'un tagueur posant son blaze un peu partout sur son passage, certains customisateurs n'ont rien trouvé de mieux à faire - après s'être pourtant déjà abondamment défoulés sur leurs jouets, sneakers et autres spray cans - que de s'attaquer à leur voisine de palier...
La "customisation de meufs" façon graff a son site internet, shriiimp.com, régulièrement relayé dans son oeuvre d'émancipation (du graffeur, ça va sans dire, pas du modèle) par le magazine GraffitiArt dont ce n'est heureusement pas là la meilleur initiative. Ce qui y est montré ne se distingue, pour l'essentiel, nullement de ce que vous pourriez voir si, faisant cet été du tourisme sur la côte belge, vous veniez par hasard à vous promener sur la plage naturiste de Bredene au moment de sa grande convention de "body art" : un bikini en peinture par ci, un flop sur la poitrine par là... Quand au propos il n'y en a pas, pas plus que de réflexion sur la corporéité. On se fait simplement plaisir en éjaculant des litres de poscas sur le corps d'une fille (ben oui, forcément des filles - le sous-titre de shriiimp.com le précise bien : "Graffiti on girls" - on n'est pas des pédés quoi merde !) et en lui appliquant le même (non-)traitement graphique que si on peignait une vulgaire façade de chantier. Le corps féminin est un objet comme un autre dont le graffeur sur corps s'empare avec la volonté plus ou moins consciente de lui faire porter les stigmates de son infériorité et de son aliénation. On a la libido qu'on peut...
Et en ce domaine, ils sont visiblement nombreux à ne pas pouvoir beaucoup et pas seulement dans le milieu du graff. Le pop-art et le monde du designer toy ne sont malheureusement pas en reste comme en témoigne le San Diego Comic Con qui vient de s'achever. Tandis que Buff Monster y était invité à dégueulasser en live une fille lors de la soirée "Munky Bidness" du 23 juillet, Ron English en faisait de même lors de la fête du lendemain, "Planet Illogica Extravaganza". Faut-il y voir un témoignage de la dimension définitivement geekesque du SDCC ? Sans aucun doute possible. On ne peut cependant qu'être affligé de constater que ces deux créateurs qui, l'un comme l'autre, font de l'érotisme un des thèmes centraux de leur démarche artistique, aient accepté de participer à pareilles mascarades plus proches de la séance collective de voyeurisme que du happening artistique. Pour ce qu'il est possible d'en voir sur les quelques photos circulant sur le net, on ajoutera que le résultat - à peu près aussi classieux qu'une Américaine ripolinée (je parle là automobile...) ou qu'une bimbo siliconée enfuie d'un clip de hip hop - est d'ailleurs à la hauteur de notre appréhension.
Alors quoi, le sexisme de bas étage serait-il l'ultime avatar d'une street culture en voie de beaufisation ?