Les rencontres avec d’autres petits éditeurs graphiques, les salons, ainsi que le site communautaire que j’ai créé – www.DIYzines.com -, m’ont amené à avoir envie de montrer toute cette production dans un cadre qui ne ressemble pas à un salon du livre traditionnel (où on se croit plus dans une église le jour d’un enterrement que dans un endroit foisonnant de créateurs). On pourra donc y discuter à haute voix, en écoutant de la musique et en buvant des bières.
Le salon accueille cette année une tripotée d'éditeurs et de producteurs en tout genre. Je ne vais pas te demander d'en dresser la liste complète, d'autant qu'on la trouve sur le site du salon. Simplement, pourrais-tu en citer quelques uns, chacun particulièrement représentatif de leur domaine, de manière à donner un aperçu général des différents champs abordés ?
Par rapport à l’an dernier, près des 2/3 seront des nouveaux venus. Le salon sera beaucoup plus axé sur la création graphique. Aussi y trouvera-t-on beaucoup de petits éditeurs (des membres de DIYzines pour la plupart), plus de sérigraphes, mais aussi quelques labels. Je ne connais pas tout le monde, mais tous ceux qui ont été sélectionnés me paraissent hautement intéressants et c'est aussi l'intérêt pour moi de ce rendez-vous. Difficile de faire un choix, je vais donc privilégier les copains/copines. Dans les petits éditeurs, ceux qui me touchent le plus sont Kaugummi menée par Bartolomé Sanson qui va nous ramener des nouveautés parmi la trentaine de livres de dessins qu'il a fait paraître, et il s'intéresse de plus en plus à la photo. De grandes tables pour les Parisiens, avec les Modèle Puissance qui viennent avec pas mal d'autres petits éditeurs. Ils font tous un travail vraiment contemporain dans le domaine du dessin et valent le détour.
Pour les sérigraphes, deux « stars » feront le déplacement : Arrache-toi un oeil (Paris) et Brazos Locos (Lyon). Mais ce qui risque de détonner ce sera l'Imprimerie La Nasa (Strasbourg) qui fait un boulot déconstruit, sale et réellement dingue. Le copain de Et pourtant ça avait bien commencé (Lille) et sa multitude de cds gravés à l'arrache de groupes locaux.
On pourra aussi passer au Cagibi où vous pourrez voir et essayer de faire de la sérigraphie.
Et puis les soirées folles... bref allez sur le site vous n'allez pas en revenir !
L'édition 2007 photographiée par A. Foolmoon
Le salon Fais-Le Toi-Même est organisé sans subventions. Ca veut dire que vos demandes ont été refusées, que vous n'avez pas pris le temps de déposer un dossier de 120 pages pour toucher des clopinettes ou que vous refusez de profiter des aides publiques ?
En fait, si je l'ai marqué en gras dans le dossier de presse, c'est que beaucoup de gens pensaient que la réussite de la première édition (1500 visiteurs) était due au fait que j'étais subventionné, or nous n'avons pas eu un centime. Pour dire toute la vérité, j'avais fait des demandes l'an dernier, juste de quoi payer la communication (affiches, flyers...) et une demande de prêts de tables et de chaises auprès de la mairie. Cela m'a demandé du temps : rencontrer des gens, remplir des dossiers en de nombreux exemplaires, justifier chaque dépense. Je n'ai eu soit aucune réponse, soit on m'avait indiqué le mauvais endroit où déposer la demande, ou mieux encore - pour ce qui s'agit des tables et des chaises - on me l'avait accordé, pour ensuite me réclamer au dernier moment de régler une facture de près de 350€ à la mairie ! Mais comme je suis plutôt prévoyant, j'avais prévu un budget très serré (750€ partagés entre tous les participants) qui m'a permis de tout louer moi-même (à moins cher), de payer la com', la bouffe aux participants... enfin presque tout, je n'ai pas pu défrayer les groupes, ou organiser des ateliers DIY comme je le souhaitais, ni faire le guide du DIY souhaité. Pour cette année, je ne me suis pas embarrassé de toute cette perte de temps, on fait tout nous-mêmes et c'est très bien ainsi. Les partenaires dont les logos figurent sur l'affiche et le flyer sont plus des amis qu'autre chose, nous nous soutenons mutuellement. Donc pour financer tout cela (à hauteur de 800€), les exposants payent pour venir au salon (15€ la journée, 25€ les 2 jours, 40€ pour 2 jours en table double pour les collectifs).Ce n'est donc pas à proprement parler une prise de position anti-subventions, mais plus le fait que cela me facilite la vie de faire sans. Je me sens plus à l'aise par rapport aux exposants. Mais c'est peut-être symptomatique de Lille et de son emprise sur le milieu culturel lillois. A Rennes le Festival Périscopages s'organise avec le soutien de la municipalité, ils m'ont l'air de faire tout ce qu'ils souhaitent. Je tiens aussi à souligner que ce salon n'aurait pas lieu sans l'appui de la fantastique équipe de l'Hybride qui m'a fait confiance et avec qui tout se passe à merveille, un véritable travail d'équipe et d'écoute. Alors bien sûr on pourra me dire que ce lieu est subventionné... mais si peu… 8000€ pour l'année, cela fait 22€ de subventions par jour (voir l'article de la Voix du nord)... Je n'irai pas faire des comparaisons avec d'autres structures ou parler à leur place.
L'édition 2007 photographiée par Jiem
Tu organises ce salon annuel, tu gères une maison d'édition (Lézard Actif), tu animes un site internet (DIYZines), le tout toujours dans l'esprit do-it-yourself. C'est visiblement plus un cheval de bataille qu'un simple hobby, plus une forme de militantisme politique qu'un passe-temps. Quelle est ta conception du do-it-yourself ?
C'est étrange, cela fait trois fois qu'on me pose la question en un mois. Je n'avais pas prêté attention auparavant à ce que ce terme soit devenu un slogan repris par tous et je vais te répondre avec une grande humilité. Je ne connais pas l'histoire du DIY en profondeur (du fait notamment que je n'arrive pas à trouver de livres là-dessus) et à vrai dire le mot D.I.Y. sonne comme un letmotiv, une bannière. Je savais que ce terme « parlait » aux gens comme synonyme d'indépendance et de petite production. Il n'existe pas vraiment de traduction française pour ce que nous nommons le DIY. Je me sens plus proche du terme "small press", plus dans le dessin, l'art que dans des positions politiques auxquels le terme se réfère en premier lieu... les punks, la contestation, la débrouille, les conseils d'autoprod'... Je ne veux pas passer pour un imposteur. Je fais tout cela car tout découle petit à petit : de la fabrication des livres, je suis passé à la recherche d'autres éditeurs par goût de la découverte. La difficulté à trouver les infos sur les sorties des livres de chacun m'a donné l'idée de regrouper toutes ces infos sur un seul site dans un souci de visibilité (site que j'aurai dû appeler "Graphzines", mais comme je suis aussi intéressé par la photo... et "small press" cela n'aurait rien dit à personne).Le fait d'être invité dans des salons hors normes comme Chaumont ou Beaubeau à Bruxelles m'a donné envie de réunir tous ces gens à Lille. Le nom "Fais-Le Toi-Même" (traduction de DIY) vient du fait que le premier appel à participation était vraiment large car j'avais peur que peu de petits éditeurs ne se déplacent à Lille. Mais étant donné que tout le monde a répondu présent, on a pu cette fois faire une sélection et axer le tout sur le graphisme... je n'allais pas changer le nom.
Le salon est loin de présenter de toutes ces brochures fantastiques que l'on peut trouver au Centre Culturel Libertaire (CCL) de Lille par exemple et que je qualifierais d'ouvrages réellement DIY au bon vieux sens du terme.
Pour moi, le DIY ou Fais-Le Toi-Même recoupe une notion beaucoup plus large qui serait assez proche du terme "indépendant", d'où la présence par exemple de Rouge Gorge qui édite ses livres à 500 exemplaires ou de Jean-Jacques Tachdjian de La Chienne qui utilise une offset perso pour faire ses affiches. Ils font le même travail que quelqu'un qui viendrait avec son zine photocopié et agrafé.
L'édition 2007 photographiée par Doze
Le do-it-yourself nous est aujourd'hui servi à toutes les sauces. L'expression est de nos jours aussi bien associée à une grande marque de chaussures de sport que servie jusqu'à plus soif par les tenants de la "street culture". J'ai pourtant l'impression que la manière dont tu conçois la chose est plus héritières des années 80, des skeuds autoproduits et des fanzines photocopiés que de la récupération actuelle dont elle fait l'objet, laquelle, pour l'essentiel et à mon humble avis, est essentiellement sémantique. Je me trompe ? Quel est ton sentiment sur l'usage actuel de ce mot d'ordre et sur la récupération dont cette philosophie fait aujourd'hui l'objet ?
Cela m'effraye pas mal, je n'ai pas envie qu'on ait l'impression que je surfe sur une vague, vague que je contribue à faire rouler de part mes nombreuses actions dans ce domaine... J'ai découvert toute cette production grâce à l'expo Rouge Gorge qui avait eu lieu à la Maison Folie de Wazemmes en mars 2005 et qui m'a donné envie de me consacrer encore plus à l'édition (deux livres étaient déjà parus à l'époque). Contacter les auteurs, faire des liaisons. C'est ce que j'essaye de faire. Ce qui me plait, ce sont les livres dont leurs auteurs tentent des choses, qu'ils ne pensent pas au fait que ce soit un produit vendable ou dans l'air du temps, et qu'ils le vendent à des prix raisonnables pour que l'argent ne soit pas un frein à l'achat (entre exposants nous échangeons beaucoup). Par contre, la production de sneakers pour bourgeois au prix d'un tiers de mois de smicard ne fait pas partie de ma sphère d'intérêt et j'espère que ceux que ceux qui chérissent ce type d'achat ne foutront pas les pieds au salon. Ah ah, nous accueillons tout le monde, tel est le but de ce salon et je m'y emploie en faisant une grosse communication (10.000 flyers et 500 affiches), mais le style de l'affiche doit faire penser que ce n'est pas spécialement là qu'on achètera le dernier Mickey (quoique je vous engage à acheter le "Nickey Parade" de l'imprimerie la Nasa, c'est assez trash).
Mon but est aussi que les visiteurs se disent « ouais c'est vrai, moi aussi je pourrais m'y mettre ».
L'édition 2007 photographiée par Jiem
Bien qu'éminemment sympathique, si ce n'est que de par sa dimension libertaire, la philosophie du do-it-yourself comporte cependant, à mon sens, une part d’ombre: si elle libère les potentialités créatives et critiques, elle donne également l'impression d'être la porte ouverte à tout et à n'importe quoi. Libérées du carcan de la validation par les paires ou par l’industrie, les productions se multiplient sans pour autant être toujours dignes d'intérêt. Quel est ton point de vue là-dessus ? De manière plus pragmatique, conçois tu ton rôle d'organisateur du salon comme relevant d'une forme d'arbitrage, de validation ou au contraire invites tu n'importe qui à venir proposer ses productions pourvues qu'elles soient « faites maisons » ?
Comment peux-tu savoir qu'untel fait des choses médiocres, comment juger de la qualité du travail de quelqu'un ? Comme je l'écris dans le dossier de presse « volonté de rester libre de ce que nous voulons faire, de qui nous voulons montrer la production, sans se soucier d'aseptiser les créations pour le public familial, car tout est pour tous dans le degré d'acceptation de l'autre». Quelques dessinateurs/trices font des livres où les images sont très brutales, pornographiques, ou du dessin si particulier qu'on peut penser qu'il n'intéressera personne... Je ne suis pas juge des créations des autres, je suis partisan de les faire figurer au salon. Une sélection est opérée pour que la cohésion puisse se faire, c'est même assez pointue. Je réunis des auteurs/auteures dont on ne voit pas partout le travail. Je pourrais remplir la salle trois fois mais je ne vais pas faire venir des auteurs de livres pour enfants ou des personnes qui font des peluches, non que je les dénigre, mais elles ne trouveront pas là leur public. C'est pour cette raison que nous avons un partenariat avec le Marché Beaubeau de Bruxelles qui a lieu une semaine avant et qui peut accueillir toute cette production fait main (j'y serais par ailleurs). Le salon est axé « graphisme », donc on y trouvera beaucoup de petits éditeurs, des sérigraphes mais aussi des labels de musique auto-produite (pas assez à mon goût). Un salon qui réunit une production invisible mais existante. Donner confiance aux créateurs dans leur création, si bizarres et si inhabituelles soient-elles...L'affiche de l'édition 2007, déjà réalisée par A. Foolmoon
Tu insistes dans le dossier de presse sur le peu d'exemplaires existants des différents supports qui seront disponibles lors du salon. On comprend bien qu'un petit éditeur adepte du DIY ne se lance pas, ne peut pas se lancer, dans l'impression de milliers d'exemplaires. Cependant, je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec la logique commerciale de grands groupes qui eux font de l'édition limitée pour créer le buzz et ainsi accroître leur popularité. Rien de telle qu'une photo d'une queue de 50 mètres devant une boutique vendant telle ou telle "exclusivité" pour se faire une bonne pub. Au bout du compte, le fait d’insister sur la dimension « édition limitée » (voire « pièce unique ») des productions présentes sur le salon, n’est-ce pas faire appel à cette envie assez malsaine d'exclusivité ("je l'ai et ce qui en fait la valeur c'est que toi tu l'auras jamais") qui fait par ailleurs la fortune des compagnies de street wear et autres dealers de hype ?
Ahlala dans quoi essayes-tu de m'embarquer ? Ce sont deux mondes bien distincts dont tu parles. L'un ayant une logique marchande implacable prônant le profit, sur des valeurs sûres et déjà fortement identifiées par les acheteurs (sinon comment ''justifier'' des prix hors de propos), et de l'autre le choix des créateurs/trices de faire peu d'exemplaires pour l'aspect financier dont tu parlais, et en plus de les vendre peu cher pour diffuser leur travail. Je n'imagine pas les acheteurs venir acquérir tel livre ou sérigraphie en pensant que peut-être ils pourront le revendre huit fois son prix sur ebay dans 10 ans. Ce n'est pas le même monde. On parlait de sélection auparavant et justement j'ai refusé des personnes qui faisaient des choses formidables mais à 50€... Je me répète, car je pense que c'est la philosophie des exposants, bien sûr si on vend bien cela permet de rentrer dans ses frais et de pouvoir acheter de quoi en refaire d'autres, mais nous ne sommes pas là pour faire du profit. En plus l'entrée est gratuite, a contrario des autres salons (de BD principalement) où il faut payer pour entrer acheter des livres et faire la queue 3h pour avoir sa dédicace...
J'aime bien penser que ce salon est comme une énorme réunion de potes un peu barrés, et que les gens barrés viennent voir.
Une fois la salon fini, tu vas sans doute te remettre à la production de tes propres travaux. Tu as des projets en cours, des choses sur le point d'aboutir et dont tu pourrais déjà nous toucher un mot ?
J'ai pris beaucoup de retard dans les nouveautés et je pense que rien ne sera sorti pour le salon. Je réfléchis à deux graphzines (livres de dessins), je laisse la photo de côté pour le moment, et puis je dois peut-être aussi repenser la diffusion de mes productions en faisant des sérigraphies, des expos. J'aimerai que mes livres soient encore plus pensés et cohérents. J'aimerai aussi faire des recherches poussées sur l'histoire du graphzine en France, en Europe... Sinon je vais prochainement être publié dans divers ouvrages collectifs de dessins et je poursuis ma collaboration avec le journal La Brique. Comme à mon habitude, je préfère faire les choses collectivement, cela a plus de force, d'impact et d'intérêt... Avec quelques membres nous sommes en train de monter une exposition itinérante de 100 à 200 zines qui irait à Vannes, Angers, Lyon, Chaumont, Lille... peut-être Manchester, le tout réalisé sans moyens.