L’exposition « Regards de marchands – La passion des arts premiers » s’est refermée ce soir sur des objets d’exception. Les salons de la Monnaie de Paris avec leurs boiseries d’or, leurs miroirs qui multiplient les œuvres, le coin bibliothèque qui invite à la lecture, constituaient un cadre parfait par leur luxe discret et confortable, évoquant la demeure d’un riche collectionneur.
Epingle Zoulou (photo issue du dossier de presse)
Le Hei tiki, sur l'affiche de l'exposition
Dans cette collection idéale, plusieurs pièces archétypales, comme cette statue Dan représentant une femme debout. Remarquable par son modelé expressif et la beauté géométrique de ses scarifications, elle l’est également par son état de conservation : le pagne de tissu est toujours fixé à ses hanches, les nattes postiches à sa tête. De la même ethnie, un masque de course, dont les grands yeux vides permettent au coureur de voir les aspérités du chemin, conserve les fines tresses de sa coiffure. Sans oublier le monumental fétiche Songyé (R.D. Congo) paré d’une peau d’animal et coiffé d’une corne d’antilope. Il exhibe un ventre gonflé de femme enceinte au nombril évidé pour accueillir le bilongo, la charge magique qui lui confère son efficacité. Des pièces célèbres, comme en exposent les grands musées, mais pas toujours dans un état aussi parfait. C’est le cas de ce hei tiki aux iris de nacre, qu’on dirait tout juste décroché du cou de son dernier propriétaire maori, encore tout empli du mana des générations d’ancêtres qui l’ont porté.
Cuillière Zoulou du musée du Louvre (hors série Connaissance des Arts n°149)
Outre les stars des arts non occidentaux, pour certaines connues de tous, ce sont les pièces plus confidentielles qui donnent toute sa valeur à l’expo. Certaines sont minuscules, tel ce nécessaire à couture Inuit, un cervidé sculpté dans de l’ivoire marin avec sur le dos deux minuscules trous où sont glissées deux petites aiguilles. Aussi esthétique qu’utile, sans oublier les possibles valeurs protectrices ou symboliques de ce type d’animal. Autre exemple de raffinement des objets usuels, cette épingle à cheveux Zoulou, d’une pureté de forme très caractéristique – elle évoque sa grande sœur du Pavillon des Sessions du Louvre, une cuillère anthropomorphisée évoquant un corps féminin. Plus étrange, un tambour à friction de la Nouvelle-Irlande, à mis chemin entre le cocon et l’insecte recroquevillé sur lui-même, cultive ses liens avec le règne animal par ses deux yeux en opercule de turbo. Dans la salle suivante, c’est un tambour à fente bifrons et bicéphale à l’une de ses extrémités qui rappelle l’étroitesse de la frontière entre objets, statues et masques, naturalisme apparent et symbolisme véritable.
Tambour à frictions, Nouvelle-Irlande
Les cartels très précis mais avares en explications invitent à un regard esthétique, hors des considérations historiques et ethnographiques. Après tout, il s’agit de nous faire partager la vision du marchand, amoureux de la belle forme. De toutes les belles formes, proches ou éloignés des canons occidentaux. Comme cet étrange crochet de Nouvelle-Irlande. On reconnaît la parenté de cette grande tête carrée sur-dimensionnée avec les statues malangan, mais l’ensemble est comme lavé de blanc, les opercules de turbo rendus aveugles. Les pics de la partie inférieure – auxquels il doit son nom de crochet – lui donnent un air de colonne vertébrale gigantesque, d’os poli ou de bois flotté. A l’inverse, dans une autre salle, un byeri (statue gardienne de reliquaire) Fang semble s’ennuyer ou rêver, le menton appuyé sur sa paume. Une pièce qui montre que même les typologies d’objets qu’on croit connaître peuvent receler des surprises.