Avril 1994.
Le Journal Télévisé montre furtivement des images d’événements se déroulant au Rwanda.
Conflit interethnique ? Massacre tribal ? Les reportages ne servent que des images peu loquaces et des commentaires laconiques qui minimisent la portée de la tragédie.
Il faudra attendre quelque temps avant que le terme de « génocide » ne soit susurré à la sauvette pour qualifier la tuerie qui saigne le Rwanda.
Au-delà des massacres, c’est l’indifférence totale qui entoure cette tragédie qui ne laisse de m'étonner.
Comme si faire disparaître une « ethnie » était dans l’ordre des choses dans un continent qui peine à se hisser à un certain niveau international. Comme si « Rwanda » était
une incongruité à ne pas prononcer…
Indifférence des médias, indifférence devant les images, indifférence des âmes et des consciences…
Fermons les yeux, bouchons nos oreilles, la réalité n’est pas des plus plaisantes…
Pour comprendre les raisons de ce génocide, il faut remonter le temps et retourner à l’époque où le Rwanda est sous domination européenne.
Le pays est dirigé tout d’abord par les Allemands, puis par les Belges qui les remplacent à l’issue de la Première Guerre Mondiale.
A cette époque, un vaste programme d’évangélisation est menée par les Pères Blancs qui assurent les conversions en masse des rwandais.
Ethnisme…?
La population est composée de Tutsi, Hutu et Twa.
Les Tutsi, plus conformes morphologiquement aux canons des bases raciales supérieures prônés par les Européens, se voient désignés comme l’élite. Les « nègres blancs » comme on les nomme à l’occasion bénéficient de nouvelles responsabilités dans le pays.
Cela se fait au détriment des Hutu qui, présentant des traits moins « occidentaux » que les Tutsi, sont classés dans les « races inférieures » et, de fait, sont écartés des positions sociales les plus intéressantes.
A partir des années 30, les Tutsi sont curieusement stigmatisés comme étant une population étrangère au Rwanda, des immigrés, des envahisseurs.
Etrangement, il est fait l’impasse sur la culture et la langue commune aux Tutsi et aux Hutus depuis des décennies, tout comme le fait que tous partagent la même terre...
La carte d’identité rwandaise porte dorénavant la mention de Tutsi ou Hutu.
Ce détail se révélera dramatique lors du génocide de 1994 puisqu’il permettra de retrouver les Tutsi « fichés » par leurs papiers officiels.
La montée des hostilités…
En 1959, le Rwanda gagne son indépendance et les Belges se retirent non sans laisser les Tutsi diriger le pays.
En 1959, 1965, 1973, 1989 et 1990, les tensions sont telles dans le pays que les violences débutent et montent en gravité.
Les Pères Blancs, demeurés dans le pays au départ des Belges, persuadent les Hutus de leur persécution injuste et les motivent à prendre le pouvoir de force.
Les massacres se succèdent alors, ignorés sciemment par l’Occident.
Le 6 avril 1994, le président rwandais Juvénal Habyarimana est victime d’un attentat alors que son avion s’apprête à atterrir sur l’aéroport de Kigali.
Aussitôt, la radio de propagande anti-tutsi « Radio des Milles Collines » diffuse en boucle une phrase intrigante « Abattez les grands arbres !».
C’est le signal du début du génocide.
Tout au long de 100 jours d’extermination effroyable, près de 1 millions de Tutsi perdront la vie, massacrés à coups de machettes, de houes ou de gourdins cloutés. La Radio des Mille Collines encourage les génocidaires, exaltent la violence et dénonce les Tutsi où qu’ils soient cachés. Pire, la tuerie est érigée comme devoir patriotique pour tout Hutu qui se respecte. Ceux qui sont modérés ou qui hésitent à emboîter le pas aux tueurs subissent le même sort que les Tutsi.
Des barrages bloquent le passage de ceux qui tentent de fuir et les Tutsi sont prétendument regroupés dans différents édifices (école, église, stade…) pour être protégés mais sont ainsi plus facilement exterminés.
La communauté internationale démissionne et se détourne totalement du Rwanda…
L’ONU ferme les yeux, l’Europe se bouche les oreilles, les médias se taisent.
Aujourd’hui, plusieurs ONG telles que « Survie », accusent notamment la France de complicité dans ce génocide : livraisons d’armes aux génocidaires, passivité ordonnée des forces militaires françaises présentes au Rwanda (opération Amaryllis, Turquoise), accueil de génocidaires sur notre territoire en toute impunité, obstructions répétées des instances françaises lors des instructions pénales internationales, tentatives de faire classer différentes affaires relatives aux événements du Rwanda…
Malgré le « secret défense » s’opposant encore à la recherche de la vérité entourant le génocide, le tableau est effarant et accablant pour notre pays…
Les rescapés réclament que la lumière soit faite sur ce qui restera comme l’un des génocides les plus méconnus du siècle dernier.
1994-2009, 15 années ont suffit pour que la tragédie tombe dans l’oubli.
La cicatrice est toujours béante dans les chairs et l’esprit des survivants.
Marie-Espérance Kayitesi a cessé d’attendre sa famille sur la petite route qui relie le Rwanda et le Burundi…
A quoi bon, puisque le monde les a oublié…
Puisque nous l’avons oubliée.