On appelle Enfer le département d'une bibliothèque où sont déposés les livres interdits au public et l'on peut citer l'Enfer de la Bibliothèque nationale, par exemple. Les motifs d'interdiction sont divers mais c'est souvent l'aspect licencieux des ouvrages qui les mènent dans cette zone sulfureuse. D'un autre côté, les reléguer à l'écart des yeux de tous les rend plus attrayants et quand on est adolescent, quoi de plus tentant que ce qui est interdit ? Je n'ai pas échappé à ce trait de caractère et dès que j'ai eu écho de ce genre d'ouvrages je me suis hâté de pouvoir les lire. Avec le temps, ce qui était trop osé pour une époque ne l'est plus pour une autre et des livres introuvables sont désormais distribués dans des collections de poche. Autres temps, autres mœurs.
En 2008 la Bibliothèque Nationale de France présenta une exposition dédiée à ce sujet, interdite aux -16 ans, dont je cite un extrait de la présentation « Pour le grand public contemporain, l'Enfer de la Bibliothèque s'entend comme une légende, un fantasme, le territoire majeur de l'interdit qui alimente en retour toutes les curiosités. Mais l'écart est grand entre ce mythe et la réalité. Il convient d'abord de retracer l'histoire, pleine de surprises, de la constitution de ce lieu abstrait, mental - une « cote », un numéro de classement qui le désigne à la consultation « réservée » -où sont rassemblés textes et images réputés contraires aux bonnes mœurs. L'exposition propose un double parcours. L'un concerne l'histoire : comment l'Enfer s'est-il constitué au département des Imprimés et au département des Estampes ? Comment a-t-il évolué ? Le second propose une déambulation à travers le contenu de l'Enfer : quels sont les livres, les documents, les images que l'on a classés là ? Ces parcours à travers la littérature telle qu'elle n'est pas enseignée vont à la rencontre d'un monde imaginaire où les personnages obéissent à toutes les fantaisies du désir, où l'excès de la parole devient pamphlétaire et le discours politique, pornographique. Ce monde c'est celui de l'anonymat, du pseudonyme, des fausses adresses, des dates trompeuses, des éditeurs clandestins, des lieux clos, celui des couvents, des boudoirs, des bordels, des prisons mais aussi des bibliothèques. Des écrivains tels que Sade, Apollinaire, Louÿs, Bataille et quelques autres en sont les acteurs à jamais anonymes de la célébration de l'érotisme et du sexe entre le XVIe et le XXème siècle. »
Ma première incursion en ces lieux remonte à la lecture de L'Amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence, un classique du genre, dont j'avais du ingurgiter plusieurs dizaines de pages avant que la lady n'en vienne au fait avec le garde-chasse. Enfin ! Avais-je pensé à cette époque. Je n'ai pas gardé en tête la chronologie de cette exploration mais j'ai ainsi découvert d'autres écrivains, car nous parlons ici de littérature. De Henri Miller et sa trilogie en rose Sexus, Nexus, Plexus, à André Hardellet et son délicat Lourdes, lentes... Sans oublier les historiques, Pétrone et son Satiricon, Octave Mirbeau et Le Jardin des Supplices, Guillaume Apollinaire pour ses très dessalés Exploits d'un jeune Don Juan ou le fameux Les Onze Mille Verges.
Si j'ai lu ces ouvrages avec plaisir je dois le reconnaître, j'ai eu beaucoup plus de mal avec le divin Marquis. Certains passages de Sade sont carrément insoutenables, tant par les descriptions que par l'effet d'accumulation et de répétition. Le théoricien du sadisme n'est pas ma tasse de thé.
A l'âge des découvertes, j'ai tenté - par pure curiosité intellectuelle - de percer les mystères de l'homosexualité avec Jean Genet et Francis Carco ou plus tard François Augiéras, mais si leur lecture pouvait être émouvante, elle n'était pas titillante. Enfin je n'ai pas manqué les best-sellers, Emmanuelle et Histoire d'O.
Comme je le disais au début de cette chronique, tous ces livres sont aujourd'hui à la vente partout et en collections de poche mais il fût un temps où ils étaient distribués sous le manteau et leurs auteurs poursuivis et embastillés.