Tout petit, la grande Prague me troublait déjà, perdu que j'étais dans une conspiration post soviétique que je ne pouvais concevoir. Dix ans plus tard, embourbé dans un point d'interrogation pointillée, je m'apprête à y découvrir sa face cachée. Celle qui m'attire et m'attriste. Le melting pot d'une populace en jogging papier kraft, d'une jeunesse dorée pédante et ultra chiante, d'une génération de 3R sous C, d'une culture électro de caniveau.
Tout ce gros bordel et à peine une semaine pour le découvrir. Beaucoup de clichés. Peu de vérités. Me voilà donc parti, pinte à soixante dix centimes en main pour un premier contact charnel avec la Belle. Mais avant toute chose, il m'a fallut passer une journée complète dans un transport sadomasochiste où la douleur règne de main de maitre: le car. Position mi allongée, mi assise, les ronflements vomiteux et le torticolis à six heures du matin, le ventre qui crie famine et le nez qui saigne, l'odeur pugnace d'un romanichel en cavale et l'attitude perverse du colonisateur exemplaire. Ce combat infini contre l'ennui m'épuise malgré la picole scotchée au fond du sac. En vingt trois heures de car, la valeur du temps et de l'espace n'est qu'un grain de sable dans l'immensité d'une solitude inhumaine, calmée à temps par l'excitation des futurs jours.
Fake et véracité
Après la rupture tranquille, la défonce tranquille
Trois heures du matin, je saute dans le premier taxi venu, naïf que je suis. Je me retrouve quelques minutes (heures ?) plus tard au devant du Clan, organisateur d'after et lieu réputé de la capitale pour sa folle déchéance. Mais mon état proche du néant intellectuel ne semble vouloir accepter l'ambiance délétère qui y règne. Un club à l'ambiance éponyme. Par petits groupes, entre J&B et rails, la population noctambule se cloisonne derrière un sourire synonyme de « va te faire foutre ». Impossible d'approcher, de discuter et de partager. Après la rupture tranquille, la défonce tranquille explose les frontières du supportable. Je m'allonge sur une banquette. Et m'endors comme une belle merde. Quelques heures plus tard, Clemence, la patronne française me réveille. Il est déjà quatre heures et demie, le temps de l'interview est venu. Mon état éthylique avancé m'empêche de relater un traitre mot de la parisienne expatriée. Je saurai juste décrire ces cages mortelles et lugubres dessinées le long de baby foot PMU, l'odeur pugnace de junkies plus ou moins cleans et l'atmosphère si particulière d'un univers qui ne peut m'atteindre. Car after rime avec chaleur, je suis ici frigorifié par la nature glaciale du lieu. La nuit qui s'éteint. Mon ipod branché en 220 volts et « Moutain » de Dan Deacon dans les oreilles, conséquence d'une remise en cause personnelle. Le sont-ils tous, ignorants ? Ou suis-je la folie au milieu du normal ? Mes questions sont faussées, mon esprit sectaire, lui, en est la véritable raison. Je suis effacé à force de m'enfermer. Le bordel chaleureux, l'échange primaire d'une simple bière et l'amalgame modeste entre junkie rasta, musclor à paillettes et lesbish du Roxy. Sans une grimace. Alors que ma pauvre personne, elle, s'efforce de chialer pour ne pas se mélanger, corrompu par le vice français et sa soupe de bouffonnerie. Mais je peux encore prier à poil sur mon lit de camp déglingué, la pluie battant ma fenêtre, l'air électrique pénétrant mes poumons pour que demain, je me réveille enfin.
Philo, coco, crado
Dès midi, un détour au Blatouch bar. Un ballon de vin blanc, un sandwich jambon beurre et l'atmosphère accueillante de Tiersen. La France mes amis, on y est. L'atmosphère décalée, pseudo philo, intellectuels de quartiers et bobos dévergondés. Agréable à déguster. Mais c'était sans compter l'arrivée massive de la gueule de bois, aussi rude qu'un clodo sous acide, mon corps décomposé passe en mode survie. Mal de ventre, de tête, je suis une boulle de nerf plaignante. Il est temps de réagir. Quitter ce lieu de tranquillité pour débuter la soirée dans une adresse prestigieuse, légèrement péteuse mais toujours bon marché. Le restaurant Lary Fary accueille donc mon mal être. Je ne vais pas la jouer « guide du routard », analyse profonde de la piquette du marché et du cendrier en forme de cul. Non, juste préciser que la bouffe est un merveille, l'ambiance charnelle d'un grands restaurant à la carte imaginative. Et puis, ça a le mérite de me blinder le bide. Il est grands temps de descendre de ma tour d'ivoire crâneuse. Ici, pas d'ascenseur. Une chute libre vertigineuse vers les confins d'une ambiance lugubre, parfois malsaine, mais toujours aussi véridique.Ici, tu rentres, tu bois, tu dragues
Le chapeau rouge, un bar qui ose encore au XXIème siècle, passer du Hot Chip et du Depeche Mode. Bien loin des contrées verdoyantes roses bonbons du Sasazu ou du Lary Fary, ici tu rentres, tu bois, tu dragues comme une saloperie de polak à la gaule irascible, tu te fais jeter, ta bière te suit sur la gueule du voisin, tu vomis dans la poubelle d'en face, tu perds ton cash, tu cours te retrouver aux pieds d'une salope qui se trémousse devant toi et harangue ta thune que tu as déjà paumé au chapeau rouge. Ce bar est culte. Déviant et dégradant. Mais toujours aussi déchainé, même un lundi soir de juillet où les touristes pataugent dans le hammam. Il est bon s'y perdre. La vraie jeunesse praguoise, pulls tricotés faits mains. Mon dieu, ça fait du bien.
Bataille au sommet, dreadeux ou longs cheveux
Il faut absolument que mon cul daigne à bouger sa graisse si maigre vers le Roxy, temple de l'underground praguois. Je tombe dans un bidonville de mauvais goût, le Social club local où le style n'est rien et la musique d'une pauvreté affligeante. Le dj balance des beats creux, éphémères. Il cale entre ces titres de longs silences d'hésitation qui me foutent en rogne. L'unique point positif réside dans cet aspect cosmopolite un peu cucul. Pas de listes, pas de physios. Résultat un peu troublant mais cohérant. Tongs, shorts de bains, nues pieds, Adidas cramoisi par la vie. Toutes classes, castes. De l'ultra ring' au babos en Vans, de la fille sous ecsta au beau gosse gominé. Je me persuade également qu'un « Free Monday » ça craint et que ce n'était surement pas la bonne soirée. Il est grands temps de délaisser mes compères raveurs. Je m'en vais en découdre avec les cheveux longs jusqu'au fion au Vagon, une salle de concert underground à l'architecture longiligne, sorte de couloir de la mort aux tablées boisées, disséminées jusqu'à la scène principale. Je tombe sur une soirée spéciale Led Zeppelin. Les reprises s'enchainent tandis qu'une prise de tête avec la barwoman (sic) m'empêche de commander des bières. Sale crevarde. Bref, l'ambiance est d'un glauque terrifiant mais bizarrement, je m'adapte assez bien à cet état d'esprit roadies des années soixante dix. Les clichés vont bon train, les guitares crachent et la binouze coule à flot le long des barbes épaisses. Je ressens ce cri de haine, de révolte contre la société praguoise qui les entoure. Les fausses devantures américanisées, la bourgeoisie qui snobe le passé et cet électro qui n'en finit plus de capturer leurs ainées. Antisocial peut-être mais eux, ne perdrons jamais leurs sang froids. C'est fort et j'aime.
Un bordel de grande consommation
Et le sexe dans tout ça ? Machine à fric à ciel ouvert, la luxure est omniprésente, du musée officiel au bordel de luxe, des blackos aguicheurs au lapdance sado. Une ville de déglingués, de violeurs de valeurs et de putains jusqu'au rectum. Symbole de cette antinomie, le marché du sexe est divisé en deux pôles. D'un côté, la rue principale qui bourgeonne de show dance, strip-tease et MST. Je me fais accoster par Joe, un jeune camerounais venu décrocher l'or en Europe. Joe, il a tout. Il est l'exemple même de ce marché de la pauvreté. Tu n'as pas de thunes, tu te tapes la coke coupée à la mort aux rats et la salope à moustache derrière une panda intérieur léopard. Pas d'alternative. De l'autre, les quartiers plus chics retranchés de l'est de Prague. Averti par un américain rencontré au Clan, je me rends au club K5. Aucune idée de ce qui m'attend. Roberto m'accueille gentiment. J'explique ma situation et il décide de me faire découvrir sa casa. Des chambres par milliers aux thèmes spectaculaires de ringardises : romaine, médiéval, galactique. L'odeur de foutre et la vue désabusée de tâches blanchâtres jonchant le sol me donnent la nausée. Roberto tente de m'expliquer que ce n'est pas un bordel, que légalement, ce sont des massages sexuelles et que les filles sont bien traitées. Jusqu'à ce que sa langue se délit. « Tu vois sur cet ordinateur, tu choisis ta fille, sa race, sa taille et tout. Tu cliques. Elle vient vers toi puis tu choisis ton horaire. 30 minutes ou 1 heures. Tu vois, elle fait tout, la baise, la pipe, tout. Mais attention, mes filles elles sont bien, je les choisis moi-même. Par contre, le prix c'est toujours le même (dans les 120 euros l'heure)». Son club est vide. Les filles attendent sagement au bar en espérant me tirer un regard. Foutu pour foutu dans ce merdier, je lui baragouine un mensonge et je me retrouve derrière les platines à faire danser et désaper les putes sur du Micheal Jackson. Moment immortalisé, un de mes paris du début de séjour réalisé. Il est temps de partir, des idées plein la queue. Dégouté, je finis la tête dans les chiottes à me dire que plus jamais, je ne plaisanterai avec ça.
Le voyage se termine. Il est temps pour moi d'en tirer un bilan. La lutte des classes entre jeunesse recalée et bourgeois sans saveurs n'en est finalement pas une. Car jamais, elles ne pourront se rencontrer pour se tabasser. Tout est cloisonné et ce mur de la honte a fini par m'étouffer. Les clashs de styles et de cultures ne sont qu'exemples pour démontrer cette simple évidence, la classe moyenne n'existe pas. A toi de choisir vieux, si tu le peux. Baise ou lapdance. Pinte ou Jack Daniels. Sans choix. Prague, le choc des extrêmes qui ne pourront hélas, jamais se côtoyer.