Le type avance lentement sur le sol sableux et rocheux. Il lui faut avancer prudemment sur ce terrain inconnu. De toute façon, engoncé dans son scaphandre volumineux, il ne peut pas aller bien vite. Ses coéquipiers le guident à distance via une liaison radio… La tension est palpable. Si seulement ce fichu robot ne s’était pas retrouvé coincé, on n’en serait pas là…
De quoi s’agit-il ? D’un astronaute en train de fouler le sol d’une planète inconnue ? D’un grand moment de l’histoire de la conquête spatiale ?
Pas du tout. Nous ne sommes pas sur la Lune ou sur Mars, mais sur la Terre. En Iraq, plus précisément. Et le moment n’a rien d’historique, mais est au contraire une des épreuves « ordinaires » que subissent chaque jour les soldats américains spécialisés dans le déminage. Cadavres piégés, attentats-suicides, bombes posées dans les rues, sous le sable, ou à l’intérieur des bâtiments, les factions ennemies ne manquent pas d’imagination pour créer des stratagèmes destructeurs et meurtriers. Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’inhumanité…
Dès la première séquence de Démineurs, Kathryn Bigelow nous plonge au cœur de l’action. Durant deux heures, on va suivre de très près une unité de trois soldats dans leurs tâches quotidiennes : détecter d’éventuelles bombes, les désamorcer ou, à défaut, les faire exploser de manière sécurisée. Chacune de leurs interventions provoque une forte montée d’adrénaline, génère une angoisse assez insoutenable. Pas facile de désactiver ces mécanismes complexes qui peuvent exploser à n’importe quel moment, ou au moindre faux mouvement. Surtout sous une chaleur accablante qui les fait transpirer à grosses gouttes sous leurs épaisses combinaisons et dans un environnement majoritairement hostile, où il est bien difficile de distinguer le simple civil du terroriste…
Grâce aux acteurs, peu connus, mais tous très crédibles, aux images réalistes du chef- opérateur Barry Ackroyd mais aussi et surtout au talent de la cinéaste, toujours aussi à l’aise avec les ambiances viriles et les scènes d’action spectaculaire, le spectateur est soumis au même stress que les soldats, partage les mêmes émotions. La tension dans laquelle ils évoluent est hautement communicative. On souffre avec eux, on craint pour leur vie, on éprouve le même dégoût face à l’horreur de la guerre.
Si Kathryn Bigelow s’était contentée de cette approche brute, de cette plongée au cœur des ténèbres, on n’aurait rien trouvé à redire.
Mais voilà, la cinéaste semble aussi s’aventurer sur le terrain du film à thèse. Elle a choisi de montrer comment l’adrénaline produite par le stress des situations et l’excitation permanente des conflits devient une drogue chez certains jeunes G.I.’s. C’est le cas du personnage principal, le sergent James (Jeremy Renner), un chien fou qui fonce tête baissée vers le danger, au mépris de toute prudence élémentaire et au risque de mettre en péril ses coéquipiers. Le film repose sur l’opposition entre ce chef d’unité casse-cou et le sergent Sanborn (Anthony Mackie), un soldat expérimenté, mais fatigué de ce climat de stress permanent et soucieux d’arriver vivant au terme – proche - de sa période d’engagement. Un conflit psychologique auquel assiste sans broncher un jeune rookie (Brian Geraghty) très marqué par ce qu’il a vécu depuis son arrivée à Bagdad. On se dit alors que le film va véhiculer un message pacifiste, se transformer en réflexion sur la présence américaine en Iraq. Assez logique vu que le scénario a été coécrit avec Mark Boal, auteur de l’intrigue de Dans la vallée d’Elah.
Mais le propos est loin d’être limpide. Au contraire, on nage dans une ambiguïté très inconfortable. On ne sait pas trop si l’on assiste à une œuvre de propagande vantant le courage et le patriotisme des soldats ou à un pamphlet antimilitariste.
La volonté des auteurs était probablement de montrer l’impact des scènes de conflits sur le sergent James, devenu inapte à la vie ordinaire (voir la scène, éloquente, où le personnage se retrouve complètement perdu face à un mur de boîte de corn-flakes dans un supermarché, incapable de faire un choix…). Mais il est aussi décrit comme un véritable héros, une figure positive. Tout le contraire du personnage de l’officier psychologue, un bouffon caricatural dont les tentatives de diplomatie sur le terrain s’avèrent totalement dérisoires et inefficaces. Du coup, le film semble cautionner l’emploi de la force plutôt que la finesse, et se positionner en faveur de la présence américaine en Iraq. Une impression désagréable renforcée par le traitement réservé aux personnages arabes, très peu consistants et un brin stéréotypés…
Bref, on ne comprend pas trop où Bigelow et Boal veulent nous emmener, et la force de l’oeuvre se dilue au fil des minutes dans un scénario finalement assez mal fichu et trop ambigu pour susciter la pleine adhésion du spectateur.
Dommage, car Démineurs avait tous les atouts pour devenir un film de guerre majeur. Intense, prenant, techniquement très réussi, parfait vecteur pour une réflexion intelligente sur la guerre en Iraq, le long-métrage de Kathryn Bigelow se retrouve plombé par son message ambigu. A l’issue de la projection, c’est un sentiment de gâchis qui domine. L’impression d’avoir assisté à l’explosion d’un pétard mouillé…
Note :