Depuis trois ans à Santiago de Cuba, je
travaille comme « metteur en scène invité » avec des compagnies professionnelles de théâtre de la ville. Avec la Cie « Gestus », j’ai produit et présenté « Estaba en mi casa esperando la lluvia »
de JL Lagarce, avec la Cie Caliban, « A puerta cerrada » de Jean Paul Sartre. Je prépare actuellement une adaptation de Guy Foissy « Direccion Gritadero » avec cette même troupe, qui sera suivi de deux monologues : « Historias de ellas » où l’artiste interprète cinq personnages féminins et « Carta de amor »
d’Arrabal.
Cette expérience est particulièrement enrichissante et passionnante. Elle me permet de côtoyer une réalité très éloignée de la situation du théâtre professionnel
français. Directeur d’une compagnie professionnelle pendant 7 ans en France « Le Ka-théâtre », je m’épuisai à trouver les financements des créations, (« La femme des sables », « Un sang
d’encre », « Cache-cage », « Thérèse en mille morceaux », « Pierre, nous te fendrons le roc... », « L’architecte et l’empereur d’Assyrie »), à rédiger des dossiers de subventions, à obtenir
les droits, à payer la SACEM, les loueurs de salle d’Avignon, payer les cachets, l’URSSAF, l’ASSEDIC, les Congés spectacles, AGAPE, etc...
À Cuba, point de droits d’auteur, pas d’intermittents mais des comédiens et techniciens mensualisés dans chaque compagnie autorisée (5 sur Santiago), des obligations de création (une par an
minimum) et de représentations, des évaluations régulières des artistes et du travail des compagnies. La situation n’est pas aussi idyllique que cette présentation pourrait faire accroire, même
si les artistes au regard des salaires sont privilégiés (3 niveaux de 300 pesos à 600 environ soit 10€ à 25€ mensuel, équivalent d’un salaire de médecin en fin de carrière) parce que les
répétitions se font dans des espaces où les conditions matérielles de travail sont très dures (chaleur, pas de sanitaires ni douches, pas de scène), parce que les transports sont une lutte sans
fin, etc... Mais la motivation est très grande dans la mesure où on peut apporter de la nouveauté à un théâtre qui se reproduit à l’identique et où il n’existe pas de sang neuf pour bousculer les
habitudes. Chaque compagnie est en effet dirigée par un Directeur tout puissant et dans la plupart des cas en place depuis de nombreuses années. Mais ceci n’est pas un phénomène propre à Cuba. On
ne voit guère émerger par exemple en Avignon de nouveaux et jeunes metteurs en scène. Tous les comédiens ont reçu une solide formation théorique et ont presque tous un niveau d’études licence et
maîtrise. Ils rêvent de tournées dans le pays (ou à l’étranger) qui sont de plus en plus rares faute de moyens financiers.
Mais ils gardent une joie de jouer et de travailler qui fait le bonheur d’un metteur en scène dont l’unique souci est la création. Et dans la mesure où
j’ai toujours dû veiller à limiter les coûts de production, le « théâtre pauvre » par obligation de Cuba ne me dépayse guère.
Je parlerai prochainement des étapes des répétitions de « Direccion Gritadero ».
À bientôt.
Maurice Lévêque