Quelques travaux d’ethnographie rurale nous présentent une autre femme indienne, plus terre à terre, et souvent comparée à une bufflesse. Etre belle signifie alors la robustesse, la résistance à la tâche et au mauvais traitement, à l’instar d’une bête de somme qu’« il faut tenir solidement attachée avec la corde pour le bétail ».
Etre belle sans être
robuste suscite, en revanche, l’inqu
Tandis que les garçons souhaitent évidemment que leurs épouses soient jeunes et jolies, c’est à dire avec la peau couleur de blé, de longs cheveux noirs tressés et un léger embonpoint, les mères se méfient, elles, de la séduction : « Un fils qui a une belle femme fera ce qu’elle lui dit et n’écoutera plus jamais ses parents ». L’idée n’est pas propre aux ruraux. En 1989 à Delhi, on pouvait lire sur un bus le slogan : «Beautifully wife, danger life».
Pour une population encore rurale à 75 %, où la tuberculose n’est pas éradiquée et le rachitisme fréquent, « être gros reste meilleur ». Poids et volume garantissent la santé et symbolisent ces biens désirés que sont l’abondance, la fertilité, le succès, la prospérité, le prestige ou le pouvoir, et la beauté. Les puissants sont effectivement plus lourds que leurs compatriotes subalternes. Extrêmement rares dans le pays sont ceux qui ont, pour des raisons esthétiques, développé le souci de la minceur si caractéristique des classes dominantes occidentales. Seuls les ascètes, en Inde, cherchent à amaigrir leur corps pour accroître leurs pouvoirs.
Dans la vie quotidienne, hommes et femmes n’isolent pas volontiers le beau d’une norme de comportement où dominent la modestie, l’humilité et la discrétion, le dévouement et l’ardeur à la tâche : la beauté de la femme est aussi et peut-être surtout son courage. Elle s’évalue à la besogne accomplie, que parachève la correction de la présentation de soi, la rectitude du comportement, la décence des sentiments : la beauté est un signe de rang, dépendant du statut social d’origine.
Cela vaut également pour les membres de la bourgeoisie et de la diaspora indienne, chez lesquels continue de prévaloir le modèle « Lakshmî », nom de la déesse (couleur or) qui signifie « millionnaire». D’une bonne maîtresse de maison, on dit toujours qu’elle est « la Lakshmî de la famille », « sa (bonne) fortune », voire « sa lumière » (par contraste avec la déesse terrible Dourgâ, tueuse du buffle et de démons [Mahisha Mardinî], la « Noire »). On la célèbre à la nouvelle lune de Diwâlî en allumant mille feux dans les villes et les villages de l’Inde. Cette divinité propice et qui rend prospère (Srî), liée au lotus (blanc/rose) et aux éléphants (blancs), préside à l’élégance et à la beauté depuis la haute époque.
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