Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
[.....] Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;
Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles,
ils regardaient monter dans un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.Tom reprend sa pagaïe. Des embruns qui ne sont pas maritimes brouillent sa vision. Dans son dos une autre fusion se réalise entre l'âme et la matière. Les particules cendrées se rassemblent étrangement, prennent une forme de migrateur.L'envergure de scories et de plumesdépose son ombre surnaturelle sur le flot qui ondule.Alors, le mécréant agnostiqueet l'oiseau fabuleux glissent lentementsur l'eau et le vent.L'un, derrière et l'autre, devant.L'albatros gigantesque,avec Gibraltar pour viatique,aux colonnes d'Hercule verra l'Atlantique Barcelone.1.999.Quelques jours avant la fin du millénaire.Tom mord la demi tranche à pleine incisives. Le citron vert sèche sa gencive et le sel pince la pointe de sa langue. Il vide son verre d'un geste sec du menton. L'alcool trace une virgule brûlante dans son œsophage comme une allumette égratigne de soufre le frottoir. Il retourne son verre et le dépose à l'envers sur le comptoir. Sept déjà alignés sur le vernis rognés par d'autres téquilas, le cul épais comme une loupe attendent faisant des zéros pour une addition impossible.La bodega de Juanito, calleSanPedro a conservé son vieux rade. Le laiton et le chêne massif accrochent le lumignon du dealer électronique de cigarettes, exception moderne au fond du tripot.Une bimbo fraîchement repeinte décroise ses jambes au sommet d'un tabouret. Posée sur le skaï, une mygale apparait dévorant le triangle de satin blanc de son slip.Tom, arachnophobe temporaire, se détourne.Un lamparo de Damoclés balance au dessus de sa tête sa pisse de lumière jaune. Il lève le regard. Des tortillons d'adhésif tue-mouches comme des ressorts font du yoyo au plafond à chaque nouvelle capture.La sirène tarifée se détourne, hautaine et part séduire un autre capitaine.La mort est là tout autour, se diffuse dans son mental comme un thé qui infuse. Elle attends. Elle s'ennuie. Elle regarde l'agonie des diptères pour patienter. Un poker se termine, une belote commence. Le ventilateur brasse l'air d'une chaleur de boulangerie pétrissant cette farine de sursitaires s'alcoolisant, pressée de la rejoindre.Tom l'a déjà vu oeuvrer des milliards de fois à différentes allures . Aux cadences infernales, guerres ou génocides, de son industrie. A son artisanat qu'elle exerça sur lui aussi par deux fois : Son aîné suicidé et sa mère dans une chronologie rapide. Une existence nettoyée au jet sur un trottoir, des restes démembrés dans un sac en plastique. Une autre effacée comme une erreur corrigée, une vérité rétablie. Un gisant de cire qu'il veilla dans une chapelle ardente. De longues heures où germèrent les évidences dans son mental. Alors, fleurirent des chardons de culpabilité qui griffent encore son sommeil et firent de lui un père indigne, un mauvais fils,dilettante, sans désirs, sans excuses et sans défenses.Mots de poésie, maux d'amour, à tord ou à raison elle aura le dernier. Il faut repartir ou dormir, dîner ou rentrer. Décider un truc ou un autre. Les gestes, lents, lourds, arthritiques exhale son innappètence . Regagner sa piaule, son Velux étoilés de fiente, s'abattre, vaincu sur une couche affaissèe. Se réveiller rompu, égratigné des griffures de la nuit.Aller combattre ce jour déjà abimé, et recommencer, perdre à genoux devant la nuit,affronter encore les succubes(*) .Demain programme d'attrition nouvelle, burn out récurrent. Alors oui! Vomir, partir, fuir et rouler!(*) Démons Féminins.Ne pas bouger.Surtout, ne pas bouger!Tom s'est enfin décidé à se pieuter.Sur le palier, le mot griffonné est toujours sur la porte du voisin. Il pénètre dans la piaule.Il est tombé sur la couche et dormait déjà quand son corps toucha le grabat comme un chêne abattu retrouve l'horizontalité.A-t-il dormi un quart d'heure, deux heures ou un jour entier?Lorsqu'il est rentré hier ou tout à l'heure, le jour pointait. Pourtant, c'est le noir absolu.L'oeil s'accommode: un rai de lumière fend l'obscurité. Son cerveau se remet en marche comme un engrenage rouillé. Ça grince dans sa tête. Ses facultés cognitives s'activent les unes après les autres, comme un programme informatique sur une vieille bécane:S'il faisait jour, la luminosité devrait inonder la pièce par le Velux, donc il fait nuit.Alors, pourquoi ce trait blanc qui ricoche dans le miroir et partage les huit mètres carré de sa cellule de prisonnier consentant?Il a tenu a rester à Barcelone, en mal d'authentique qu'il est sûr de trouver dans l'immeuble glauque au dessus de la bodega de Juanito. Persuadé que la sincérité s'accomode de l'outrance.Du glauque, du bizarre, chez Juanito, il y en a. Du mescal, du chite, de l'ayawesca et des putes aussi.Dans cet univers interlope le mot griffonné: "soccoro"(au secour!) suivit d' un numéro de téléphone difficilement lisible sur un papier crade et chiffonné, ne l'avait pas inquiété.Les hurlements qui l'ont réveillé, un peu plus!Une masse sur le dos l'empêche de bouger. Quelque chose, quelqu'un.Le "Horla" de Maupassant ou une main sans corps issue d'un roman d'Edgard Allan Poe.Il essaie de tourner la tête. Échec! Un seul oeil disponible, l'autre est masqué par le traversin.Le cri d'à coté s'allonge, perd des décibels et devient gémissement.Il se souvient d'un autre "au secour!"Il se souvient de La Lettre oubliée que lui écrivit sa mère du fond de son mouroir:-"quand viendras tu me voir avec Juliette et les enfants ?"-"Demain" murmure-t-il!Cela fait un an qu'il dit:"Demain"Comment dire à maman cette année bien remplie:Il n'y plus d'enfants.Il n'y a plus de Juliette.Il y a la faillite de l'entreprise crée dix ans plus tôt, le divorce, les enfants un dimanche sur deux, les miettes de RMI de son statut de gérant non salarié.Il y a une menotte d'enfants dans chaque mains, la tristesse des Mac Do, ce repaire du dimanche soir de pères célibattus entre séance de ciné, préparation du balluchon et restitution des enfants. Il y a les petites silhouettes qui s'éloignent un sac dans le dos, un doudou qui dépasse, un calcul mental pour des vendredi qui reviennent, des miracles budgétaires et cette mère oubliée jusqu'à la mort à ne pas savoir comment lui épargner ce double impact.Il n'y a plus que son nombril et sa peine à plein temps.Il y a cette fallacieuse protection plus dommageable que l'exposition.Il vit, depuis avec le poid de l'adieu qu'il n'a pas dit.Du secours qu'il n'a pas donné.De l'appel qu'il n'a pas honoré.De la prière qu'il n'a pas entendu.Il tente discrètement de remonter un genoux, bouger un orteil, s'appuyer sur un coude.C'est inutile!Son corps conserve la position qu'il avait lors de l'endormissement. La mutinerie est totale. La prison est mystérieusement et efficacement verrouillée."Looked in" dans un corps qui désobéit.Combien cela a-t-il duré?Une heure d'effort et de volonté contrariée, répond la pendule dans le miroir, seule interface avec le monde rationnel.Intelligence H+1: Il eut l'idée d'utiliser le miroir et sa chiche lumière.Rien de visible sur son dos.Sur les murs, le plafond, le plancher il aperçoit des mouches grosses comme le pouce, serrées et noires comme un nessaim de moules sur un bouchot, bourdonnants comme un essaim d'abeilles.Le gars à coté a cessé de meugler.L'odeur inconnue acre et puissante agresse sa gorge mais il ne peut pas tousser.Il a deux petits points rouges de sang coagulé sur la veine jugulaire.C'est là qu'il a eu peur!Les insectes recouvrent maintenant son corps.Le feulement d'une respiration surnaturelle soufflant dans sa nuque n'a pas arrangé les choses.Il est inondé d'une sueur glacée. La sensation de froid est réelle. D'ailleurs, un petit halo de buée s'exhale faiblement de sa bouche.Sa trouille lui fait murmurer une pitoyable prière. Dieu est partout parait-il!Il renonce aussitôt à l'envie de supplier: A quoi bon vivre debout pour crever comme un cloporte. Pas bouger, négocier!Il parait qu'avec Satan on peut!Parce que c'est LUI qui est là: L'homme invisible lui, se déplacerait sans diptères.La communication télépathique s'engage:-"deux cartes! demande Tom- servi, répond Satan- je me couche, dit Goddy.- prévisible, ce n'est pas le première fois que le bricoleur concepteur du monde en six jours s'en va voir ailleurs s'il y est, pense Tom en annonçant:- Je vois!Lucifer abat, une par une, ses cartes:Quinte flush!-pas mieux"Le rai de lumière n'est pas le jour! Il se met à tourner comme un vortex maléfique. La gravité crée la matière. La lumière devient feu. Une boule de feu qui a faim et qui veut se nourrir.Elle pénètre par sa bouche étonnée.Il s'est consumé longuement et douloureusement par l'intérieur.Mergez-party chez SatanasCarbonisé quand le rire satanique a envahi l'espace, il était assez fier de n'avoir pas crié comme le voisin.Un bout de charbon recroquevillé comme un foetus sur un lit qui n'a pas brûlé, les mouches parties, le silence et l'odeur de l'enfer demeurent!Tapis!Coupé au montage: Le légiste n'a pas eu l'idée d'estimer le poids du mort: 21 grammes manquent à l'appel.Le poids de l'âme.L'âme de Thomas Benjamin Dunid entrera dans le corps de Alex Cessif, symbole de sa résilience et de sa seconde vie durant laquelle la défonce viendra des endorphines naturelles du sport.....à l'excés!Mais c'est une autre histoire......Car on ne change pas, on devient!