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Passage en force

Publié le 20 octobre 2007 par Jlhuss

par Arion

S’ils roulent, il faut être prudent , un train peut en cacher un autre . S’ils ne roulent pas, et que l’absence de train peine à cacher l’absence de bus, de tram, de métro et de conscience collective, c’est patient qu’il faut être, inlassable à rappeler les vertus du service public, ce trésor que le monde nous envie, et la noblesse de la grève, un droit dont la démocratie s’honore à 25 millions d’euros la journée .

Plus encore que la magie d’un financement sans adhérents, ce qu’il y a de fascinant dans le syndicalisme français des dernières décennies, c’est l’avènement du temps immobile. L’évolution (démographie, espérance de vie, pénibilité) glisse chez nous sur « les luttes » comme la pluie sur les ailes du canard. Eternel retour des trains sans départ : on ne se voit pas vieillir. Novembre 1995, octobre 2007 : même combat, les 35 heures et le vélib en plus. Ou tu pédales ou tu te prends une RTT . Car on ne te la fait plus, tu connais la chanson. Tu sais très bien qui va « passer en force » et qui va « négocier ». Tu te dis que chaque peuple a son fléau, et que le Français avec ses grévistes est sans doute moins à plaindre que le Malgache avec ses sauterelles.

En novembre 95, vers 18 heures, le long des quais du tracassin et de la défense des droits acquis, passaient encore une ou deux rames enneigées. Après douze ans, un réchauffement et une loi sur le service minimum, plus de rame du tout mais on est en veste. – Comment, pas de rames  ? Ignorez-vous qu’une ligne parisienne a fonctionné comme d’habitude ? l’automatique reliant la Madeleine à la Très Grande Bibliothèque. Que demande le petit peuple ? Mieux que la privatisation, l’automatisation comme parade aux « mouvements sociaux » !… Bon, d’accord, j’arrête.

Devinez plutôt de quoi j’ai rêvé la nuit dernière. D’un beau passage en force . J’attendais un métro pour aller de Nation à République. Quai désert. Bien fait pour moi : je n’avais qu’à défiler en surface comme tout le monde. Donc tout seul dans le boyau, genre peau de balle, à fumer sans problème, c’est toujours ça. Tout à coup, dans un grondement sourd, une rame vide lancée à toute vitesse, dont le souffle au passage m’arrache ma blonde. A peine le temps d’en allumer une autre, seconde rame ! Je fais de grands signes, le train ralentit, s’arrête, je monte et devinez qui aux manettes ? Le Président ! Il me dit : « J’ai niqué dix piquets de grève, forcé cinq rideaux de pneus en flammes, renversé trois remparts de bidons, un vrai passage en force ! Putain, quelle rupture ! » Je dis : « Bravo, vous tenez vos engagements de campagne. »  « Non, qu’il fait, je veux juste récupérer ma femme, elle est dans le train d’avant. » Et de m’empoigner à l’épaule : « Voilà ce qu’on va faire. Moi je reprends la poursuite. Toi, tu t’assois sur la voie et on la coince au prochain tour. Tu connais Cécilia, elle est ce qu’elle, mais pas au point d’écrabouiller un mec à terre. » Je demande : « C’est elle qui tient le manche ?  vous êtes sûr ?» Il est gêné, se grattouille la joue sous l’œil gauche : « Non, dit-il, je crois que c’est Bernard Thibault. »

Et c’est là que je me réveille, car mon sommeil paradoxal veut bien se prendre une grève ordinaire dans la poire, mais sur le bide une rame lancée à coup de faucille et de marteau par la petite fille d’Albeniz : non !


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