DECRYPTAGE RELATIO PAR DANIEL RIOT : Paradoxe suisse. L’Helvétie va bien. Très bien même. « Tous les indices de prospérité, de compétitivité, d'investissements dans le futur, tout ce qui dit le bonheur d'un peuple dans ce qu'il a de mesurable, dressent un portrait de premier de classe mondial, envié comme tel » souligne Le Temps.
Certes, il y a des laissés-pour-compte et ceux qui redoutent de le devenir, sous les coups d'une mondialisation qui met la concurrence partout : le paradis n’est nulle part sur terre, pas même dans les vallées si calmes de ce pays si paisible…Mais de tous les pays d'Europe, la Suisse est socialement le moins à plaindre. C'est clair.
Pourtant, la Suisse vient de connaître la campagne électorale la plus violente, la plus raciste, la plus xénophobe et la plus marquée par la peur de son histoire contemporaine ! A tel point que le scrutin de dimanche prend une signification qui dépasse largement ses frontières.
Contradiction. Phénomène bien inquiétant…Pour ceux qui sont attachés aux valeurs démocratiques et humanistes. « Combien fera-t-il ? ». Là est la question. En 2003, il avait fait 27% des suffrages—ce qui était déjà énorme…
« Il » ? Christoph BLOCHER ! L’homme qui donne froid dans le dos, notamment en Suisse romande où, comme dit Jean-Jacques Roth, éditorialiste au Temps, « la culture institutionnelle et la sensibilité sociale sont plus vives » et où « les thèmes du complot et du mouton noir, associés à la sacralisation de Christoph Blocher, ont le plus choqué ».
Paranoïa cultivée et xénophobie passionnée son en effet les deux mamelles de Christoph Blocher le milliardaire et de l'UDC la bien mal nommée (Union démocratique du centre) qui font plonger la Suisse « au cœur des ténèbres » de l’extrême-droite, pour reprendre le titre d’un reportage de « The Independent »…
Pour préparer les élections législatives du 21 octobre, l’UDC a lancé une quadruple campagne qui a poussé le rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme à demander une explication officielle au gouvernement suisse.
>>> Des affiches du « mouton noir » indésirable qui disent (trop) bien ce qu’elles veulent dire
>>>Le parti cherche tout d’abord à réunir les 100 000 signatures nécessaires à l’organisation d’un référendum sur la réintroduction dans le Code pénal d’une disposition permettant aux juges d’expulser les étrangers condamnés pour des crimes graves une fois leur peine effectuée.
>>> Une proposition de referendum contre toute construction de minaret sur le territoire suisse.
>>>De manière encore plus spectaculaire, il a annoncé son intention de déposer devant le Parlement une proposition de loi permettant l’expulsion de la famille d’un mineur condamné dès le prononcé du jugement. Cette loi serait la première du genre en Europe depuis l’époque nazie, quand l’Allemagne pratiquait la « Sippenhaft », le principe de responsabilité familiale – en vertu duquel les parents d’un criminel étaient tenus pour responsables de ses crimes et punis comme lui.
The Indépendant note justement : « Le débat au sujet de cette proposition constituera un test non seulement pour la Suisse, mais pour l’ensemble de l’Europe, où le discours politique de plusieurs pays, Royaume-Uni inclus, se partage de plus en plus entre le multiculturalisme progressiste et un isolationnisme conservateur ».
Rappel : Un quart des salariés de Suisse – un sur quatre, comme le mouton noir de l’affiche – sont aujourd’hui des étrangers venus travailler dans ce pays paisible, prospère et stable, au taux de chômage faible et au PIB par habitant supérieur à celui des autres économies occidentales. Zurich est considéré depuis deux ans comme la ville possédant la meilleure qualité de vie au monde.
(dessin de Schrank)Pourtant, la Suisse a la législation la plus dure d’Europe en matière de naturalisation. Sauf si les comptes en banque sont bien remplis, naturellement… Pour faire une demande, il faut vivre dans le pays légalement depuis au moins douze ans, payer des impôts et ne pas avoir de casier judiciaire, et la demande peut toujours être rejetée par la commune de résidence du demandeur après un entretien dont la teneur dépend surtout de celui qui le mène…
Autant dire qu’au-delà la politique, c’est toute une morale du « vivre ensemble » et une philosophie anti-humaniste qui est développée avec des arguments populistes. Loin, très loin des valeurs du Conseil de l’Europe (auquel la Suisse appartient).
En cela, hélas, la Suisse n’est pas une exception en Europe : elle porte à un degré très fort ce qui mine presque toutes nos sociétés dans des proportions variables, dans des formes variés. Cette « culture de l’autre » qui est une « négation de l’autre », du différend ou du trop semblable, de « l’étranger ». Les crises identitaires si décrites sont en fait des crise de l’altérité !
Daniel RIOT