Tout y est vrai. J'y ai appris beaucoup de choses sur le handicap, sur le vécu des malades atteints du cancer, et sur les familles surendettées aidées par l'activité juridique hors du commun des juges de Vienne. Et j'y ai lu peines et peurs, celles du passé enfouies et amnésiées, les plus récentes encore douloureuses, et les futures envisageables avec réalisme sans pessimisme …
Ici, l'auteur se dévoile sans indulgence, factuellement, et au fur et à mesure des pages qui déroulent des vies aussi communes qu'extraordinaires. Les souffrances des autres peuvent vous rapprocher d'eux ou vous en éloigner. Ce n'est pas facile d'approcher la souffrance de l'autre avec de l'amour, et non avec de la peur. Le changement peut être appréhendé comme quelque chose de difficile (comment fait-on ?), d'inutile (à quoi cela va-t-il me servir ?), d'identitairement perturbant (qui suis-je depuis tant d'années si je change aujourd'hui ?). Et c'est ainsi que l'on va pouvoir être tenté, bien malgré soi, à s'accrocher à des avantages de la situation présente (dont on n'a pas forcément conscience … et que l'on craint tout de même de perdre), situation dans laquelle l'on s'annonce pourtant si misérable – à défaut de savoir visualiser notre avenir, nommer nos émotions, satisfaire nos besoins, pour enfin, et seulement à ce stade, être en mesure de passer à l'action …
Jusqu'au jour où fortuitement les circonstances de la vie vous apportent sur un plateau un bouleversement d'une telle ampleur qu' "aujourd'hui" devient irrémédiablement "hier" … "D'autres vies que la mienne" est l'histoire dramatique, réelle et belle de ces anonymes qui ont fait passer l'aujourd'hui de l'auteur à hier. Il fallait aussi être capable d'accueillir ces événements.
Ce qui est magnifique ici, c'est que face à la souffrance de l'autre, l'auteur et les acteurs des vies qu'il raconte, ne vont pas s'arrêter à leurs peurs, ils vont aller au-delà. Ils vont accepter cette réalité époustouflante de souffrances, et lui faire face en offrant de l'amour. Capables d'empathie (je me place au niveau de tes émotions, mais je ne les vis pas à ta place) et de vécu de la réalité (ses pénibles et durables secondes), ils peuvent éprouver de la compassion. Et c'est alors qu'ils deviennent capables – à leur mesure - de "rendre service", d'aider, d'être auprès de …
Il est utile de distinguer la sensibilité d'un être vis-à-vis d'un autre à la sensiblerie. Il y a des émotions qui ne coûtent rien, des émotions qui ne font pas grandir sa capacité à aimer. Etre capable de pleurer devant un film qui vous touche, ou en lisant les lignes d'un roman est pure sensiblerie sans prise de risque émotionnel si l'instant d'après vous perdez le contact avec cette capacité d'aimer qui ne demande qu'à se développer, qu'à être vécue réellement, partagée ici et maintenant, main dans la main …
Aimer, c'est aussi prendre le risque de perdre. Et pour la première fois de sa vie, l'auteur découvre qu'un être cher peut vous être ravi par une vague d'eau, par des irradiations, par la maladie, par …., par …., par tant d'événements si éloignés de la lassitude d'une relation.
Une fois le drame annoncé et/ou vécu, la vie submergée et ravagée, la résilience doit se mettre en route. L'importance donnée à l'individu depuis des décennies dans nos cultures occidentales a rendu possible l'observation des réactions des hommes face aux drames de la vie. Ici encore, "D'autres vies que la mienne" déroule sans discours les trois conditions nécessaires à la résilience :
1- Le choc est-il externe ou proche ? On constate que la fatalité à l'événement dit "naturel" est plus facilement "acceptée" que celle de l'événement non "naturel".
2- L'histoire personnelle de la personne : le niveau de fracture personnelle, car chaque choc est comme une onde sismique, est comme la goutte qui va faire déborder le vase. Ce n'est parfois que la même goutte, mais ce sera celle qui fera déborder le vase. Et c'est parfois l'onde sismique majeure aux conséquences plus grandes selon chaque fossé individuel.
3- L'accompagnement lors du trauma : s'en sortent mieux ceux qui participent
Tous les jours, nous rencontrons des hommes, des femmes, des enfants, véritables héros de leurs vies, et nous ne le savons pas. Un acte d'héroïsme ne se mesure ni à sa notoriété ni à la grandeur de ses actions. Soyons le Colibri de notre vie. Oui, je vous raconte son histoire, comme on me l'a racontée, et faites-la passer : Cela se passe dans une forêt dévastée par les flammes, et un colibri vole jusqu'au point d'eau le plus proche, remplit son bec, revient dans la forêt et déverse l'eau de son bec sur les flammes. Il vole, remplit, revient et déverse. Il vole, remplit, revient et déverse. Un condor, posté immobile sur une branche, le regarde et l'interrompt en l'apostrophant moqueur :
"Que fais-tu petit Colibri ?"
"Je fais ma part.", répond le Colibri, déjà reparti remplir puis déverser …