Gérald Andrieu imagine un monde de partis sans militants, de syndicats sans syndiqués, avec des "professionnels" aux commandes. Un monde de cauchemar, qui aurait déjà commencé.
Le constat est simple et pas neuf : les organisations revendiquent de moins en moins de militants. Pire, elles deviennent des machines qui ne convoquent leurs adhérents que pour servir de petites mains, avaliser ce qui a été décidé en petit comité, voter pour les chefs. Résultat, nous assistons à un cercle vicieux qui conduit les structures à être de moins en moins fournis en militants, ces derniers étant nombreux à partir.
En prenant les uniques exemples du PS et de la CGT, Gérald Andrieu regrette cette baisse de militant en disant que le militantisme en général [la] condition sine qua non de la cohésion sociale de notre pays.
Là, je commence à ne pas être d'accord. Non pas sur le militantisme et son rôle, mais sur le fait que sans le PS et la CGT il n'y a pas de militantisme. Or, et je vais peut-être surprendre, on peut militer hors du PS et de la CGT. Mieux, on peut militer hors des structures établies habituelles.
Le collectif Sauvons les riches a montré au grand public une façon de militer festive, héritée de Jeudi noir, par exemple (je prends cet exemple car il s'agit largement des mêmes personnes). Ce ne sont évidemment ni les premiers, ni les seuls. Deux livres racontent (avec un même choix de couverture, amusant) ces nouvelles formes du militantisme, parfois très efficaces :
Alors certes, on est loin du militantisme et des meetings des années 70 et 80. Structure légère, mode d'action en réseau, utilisation des médias... On est en 2009, les modes d'action ont évolué. L'engagement aussi : qu'on le regrette ou non, l'entrée dans un parti ou un syndicat est souvent perçue comme de l'embrigadement, comme une perte d'autonomie de pensée.[1] On cherche plus à s'engager au cas par cas, pour une cause par ci, une cause par là.
Mon but n'est pas d'identifier d'éventuels "coupables" de cet état de fait.[2] Mais on l'a remarqué depuis un certain temps, la crise semble toucher tous les corps intermédiaires, depuis les syndicats jusqu'à l'Assemblée nationale. En fait, et si c'était plus les structures fortement pyramidales qui étaient en crise ?
J'ai l'impression de sortir un gros poncif tarte à la crème là, étant donné qu'on parle de la crise de l'engagement et des partis et syndicats classiques depuis... longtemps (en fait depuis que je suis en âge de militer, au moins). Pourtant, le secteur associatif est dynamique, des centaines de milliers (des millions ?) de personnes sont engagées, avec parfois un niveau de "professionalisme" ou d'efficacité énorme. Qui fait tourner les amap ? Qui fait tourner les associations de protection de l'environnement ? Qui fait tourner les clubs de sport de jeunesse ?
Je ne dis pas qu'il faut casser tous les corps intermédiaires, mais il me semble que plus que l'engagement et le militantisme, ce sont justement ces corps intermédiaires (partis, syndicats, l'Église même !) qui sont en crise. Au lieu de crier à la fin des temps du bel engagement militant pur et parfait, peut-être faudrait-il plutôt guetter les nouvelles formes d'organisation. Plutôt que de cracher sur une supposée manipulation par le storytelling honni, il faudrait plutôt chercher à créer, à accompagner ces nouvelles formes d'engagement. Parce que c'est inéluctable, désolé.[3]
Structure en réseau(x), horizontalité, consensus, hiérarchie souple, légitimité par l'action plutôt que par le vote, prise en main de la base par elle-même, actions médiatiques plutôt que grands discours... Non, militer n'est pas ringard. Mais ça évolue, heureusement. Vous vous voyez distribuer des tracts ronéotypés en corps 10 ?
Notes
[1] Et il m'arrive de regretter cette peur fantasmée de "l'embrigadement".
[2] Il y en aurait à dire, chez les syndicats par exemple, sur l'incapacité à se saisir des nouvelles problématiques et la lutte unique sur les acquis, délaissant ainsi les nouveaux entrants ou les pas-encore-entrés.
[3] J'ai moi-même beaucoup critiqué ces "nouvelles" formes d'engagement et je persiste à peu apprécier certains engagements monothématiques, tant on a souvent besoin d'une réflexion globale.