J'avais entendu parler de ce centre, je croyais qu'il était encore enconstruction. Visiblement, non. Voici un mail reçu aujourd'hui, dont je ne connais pas l'auteur.
Récit de l'Action au centre de retention administrative (CRA) à St-Jacques, Rennes) :
Samedi 13 octobre
Le soleil brille sur Rennes. Nous sommes un peu à la bourre pour nous
rendre au Centre de Rétention Administratif de La Plaine St Jacques en
vue de l'installation d'un campement de protestation. Route coupée, nous
finissons le parcours à pied. Devant le centre, des tentes "2 secondes"
sont déjà déployées 350-400 personnes participent au rassemblement. Au
mégaphone, se succédent des témoignages sur les conditions de vie dans
le CRA, le quotidien des sans papiers, la réalité des rafles.
A 100 métres de là, se tient le salon de l'habitat. Nous décidons de
nous y rendre pour tracter, informer les gens, sensibiliser. Le public
est plutot receptif -excepté les non-concerné-e-s, comme d'habitude
(quand ils sont venus me chercher, il n'y avait plus personne pour
protester!) - certain-e-s iront même se rendre compte par eux même de la
réalité du crime d'êtat. Beaucoup ne savent pas qu'à 100 métres du lieu
où ils assouvissent leur besoin de consommation, des innocent-e-s sont
enfermé-e-s, la plupart ignore que des enfants, parfois de l'age des
leurs, ont des barbelés comme limite à leurs terrains de jeu, beaucoup
ignore les rafles, les quotas, la politique systématique de la traque et
de l'enfermement des sans-papiers, le fichage ADN. "Ah bon! et des
centres de rétention, il en existe dans toute la France?" s'interroge
cette personne, visiblement de bonne foi. Au mégaphone, on appelle à
faire pratiquer des tests ADN sur les enfants, on offre des week-end
gratuits au club Sarko, on suggere de boucler la France, car pour 6
milliards de personnes, les 60 millions de français-e-s sont des
étranger-e-s. L'ambiance est plutot bon enfant. Un groupe de gendarmes
surveille de loin, je vais discuter avec eux, savoir ce qu'ils en
pensent. Discussion cordiale, nous sommes chacun dans nos roles.
Fin du salon, nous décidons de bloquer la sortie du parking pour obliger
les automobilistes à prendre l'autre sortie, celle qui passe devant le
centre de rétention. Le groupe de gendarmes s'interpose, nous discutons
avec, et comme, a priori, l'autre sortie est bloquée, nous laissons
passer les voitures. Dans le flot des automobiles, deux dames, croisées
précèdemment, sont allées au rassemblement devant le centre de rétention
et nous remercie de les avoir informées. Plus de voiture, le temps est
venu de retourner devant les grilles du CRA. Discussion ubuesque sur le
chemin du retour avec un conducteur de 4x4 qui cherche à faire une
maison "haute qualité environnementale"
Retour devant le CRA, la nuit commence à tomber. Décision est prise de
tenir la place jusqu'à l'évacuation. Deux RG sont appuyés sur une
barriére, j'entame le dialogue pour connaitre les intentions des forces
de l'ordre, d'autant que des renforts de CRS sont arrivés sur place. Je
comprends vite, par sous-entendu, que nous ne passerons pas la nuit ici.
Les breton-ne-s venu-e-s du Finistère en car nous quittent, les rangs
des manifestants sont plus clairsemés, il doit rester entre 100 et 150
personnes, isolées de tout, plus aucun média n'est présent. Assi-se-s
par terre, nous attendons calmement. Aucune violence, aucune agressivité
dans nos rangs.
Ca bouge du côté du CRA, la nuit est tombée, le premier flot de CRS
sort, projecteur braqués sur nous. Un cordon sur le côté, un en face.
Leur mégaphone est en panne, tant pis, il n'y aura pas de sommations.
Nous sommes toujours assis pacifiquement et sans violence quand ils
commencent à avancer faisant preuve d'une brutalité dépassant
l'entendement. J'ai appris, par hasard, qu'il y avait un match de rugby
ce soir, certainement ne veulent ils pas le louper.
Assis par terre, j'attends. Les CRS continuent leur répression féroce et
bientot mon regard ne peut plus se porter que sur des boucliers ou des
rangers. "Dégage" vociférent ils. Je ne réponds pas à leur injonction
alors, rapidement je me sens agrippé par une puis deux puis trois mains
- ils seront jusqu'à 8 pour déplacer mes 75 kg. Je ne touche plus terre,
suis amené une trentaine de mêtres plus loin, remis sur pied. La gazeuse
à bout touchant, directement dans les yeux, le bruit "pschiii", la
brulure est immédiate, 5 secondes?, 10 secondes? vont ils la vider sur
moi? et les premiers coups pleuvent. J'arrive aveuglé à me retirer,
gagner 5 à10 mêtres pour rejoindre la foule hébétée mais toujours
pacifique et non violente des autres manifestant-e-s, éviter la BAC,
cachée derrière un abribus . Ma progression est plus lente, toujours
aveuglé que je suis. "Celui là, il nous a fait chier" entends je
derrière moi, bruit des rangers qui accélèrent, le premier coup de
matraque est amorti par mon sac à dos. Ils sont trois autour de moi, à
faire pleuvoir leur matraque, acharnement sur les genoux, par devant,
par derrière, sur les épaules, les bras. "Ta gueule, avance" est la
seule réponse à mes tentatives pour les raisonner. La violence des
coups, la hargne et l'agressivité dégagée ne laissent aucun doute sur
leur volonté de faire mal, puis ils me lachent, une autre proie sans
doute. Retention, gaz, violence arbitraire, le parfum de Vichy se mêle à
celui du lacrymo.
On se cherche, on se retrouve. Emelie, gazée largement aussi (ses
vétements sont imbibés de gaz), matraquée, tabassée, a pris un sale coup
sur la main - elle ira dimanche à l'hopital-, Mathias lui a gouté aux
rangers, nombre d'entre nous portons les séquelles de
l'ultra-violence policière. Pas de collyre, ces vieux réflexes m'ont
quittés et je m'en veux. Une jeune femme, équipée, me nettoie les yeux,
je ne suis pas le seul à demander ses services. Les brulures du visage,
du cou continuent, la douleur des coups reçus commence à se faire sentir
mais il ne faut pas s'arrêter, la meute de CRS toujours à nos trousses a
accèleré la cadence -l'heure du match doit approcher-, nous continuons
à évacuer toujours sans violence, sans bousculade. Des refrains
"antiflics" fusent, des slogans "Pétain-reviens-t'as oublié tes chiens"
sont scandés, Moi, "Hexagone" me trotte dans la tête " les matraqueurs
assermentés qui fignolèrerent leur besogne". La poursuite s'arrête dans
le centre ville de St Jacques de la Lande, La BAC croisée ultérieurement
veille. Fin de l'évacuation.
Ils nous faut récupérer les voitures, nous devons être à 4 km du lieu où
elles sont garées, la ballade a duré longtemps. trajet à marcher le long
de la 4 voie. J'ai connu plus sécuritaire comme itinéraire.
Retour à Rennes, la douche et les brulures inhérentes au gaz, état des
corps. Vague coup d'oeil dans le miroir ,pas beau à voir,mais eux
peuvent ils se regarder dans un miroir. La main d'Emelie a doublé de
volume, elle ne peut pratiquement plus s'en servir, mon genou aussi a
sérieusement enflé. Les hématomes apparaissent, "Ah là aussi, ils ont
cogné" c'est bien des dizaines de coup de matraque que nous avons reçus.
On verra ça demain après une nuit de sommeil. Ce soir, des innocent-e-s,
hommes, femmes, enfants dormiront encore derrière des barbelés, mais
eux, comment peuvent ils trouver le sommeil, vivre normalement après
tant d'ignominie.
Dimanche 14 octobre
Retour vers les Landes. Le sac à dos ravive la douleur de mon épaule
endolorie, la marche vers la gare me rappelle l'acharnement sur les
genoux, dont l'un a encore enflé.
Dans le train, je me remémore les événements de la veille, processus de
pensée. Oui, je continuerai à diffuser la culture de la non-violence,
car me changer, changer mon ame, faire pousser en moi la haine serait
leur victoire. Oui, je continuerai à lutter de façon pacifique et
non-violente contre leurs lois iniques et racistes, car jamais je ne
légitimerai leur violence. Envie de pleurer, mais ça n'a plus rien à
voir avec les gaz. Savoir que j'ai laissé derrière moi, impuissant, des
êtres humains enfermé-e-s, me demander comment d'autres êtres humains
peuvent faire preuve d'autant d'inhumanité, de violence gratuite, de
haine froide.
Nous avons attaqué le tabou des tabou, ce dont on ne parle jamais dans
les médias, ce qu'on veut taire, passer sous silence, la main tendue à
l'extrème droite, le visage fascisant de la France d'après. Cela doit
etre impardonnable dans la France sarkozyste pour mettre autant de zéle
à vouloir nous faire taire.
Samedi prochain, manifestation nationale dans les villes de France, pour
les sans papiers, pour que la solidarité ne soit pas un délit. J'y
serai, à Bordeaux, ne pas oublier le collyre.