Plus tard quand l’enfant devient adolescent, la tentation de la cigüe flirte avec la satiété de la fraise des bois, la langue tourne sept fois dans la bouche avant de sécher car dehors il bruine. Il bruine sur ta jupe. Il bruine sur tes seins. Il bruine si longtemps que ton âme est mouillée, tu voudrais te corrompre d’un rayon de soleil, tu me tends tes frissons mais moi je suis l’homme qu’irrigue le sang noir des fourrés, le sang de la mûre, la pulpe de la myrtille, le pus du carré de chocolat de quatre heures et de la noirceur de l’âme, en moi s’agite l’angle aigu de la foi sans loi. Je jouis de peu de choses comme tous les hommes qui ne possèdent rien. Un mal de dos d’avoir rangé du bois. Une ruse de gibier. Des allées de sorbiers rougis par l’automne. Les poumons transpercés d’air pur après une marche en montagne. Des vaches dominos pâturant paisibles. De l’eau minérale fraichie dans le ruisseau avant de dévaler le gosier. Certains matins d’hiver les folles fiançailles succombent. Il ne reste entre le désespoir et l’épaisseur de ma peau qu’un espoir d’amour impossible. Plus tard encore je suis resté un homme des forêts. Je serpente vers les sources puisque les truites remontent haut. Mal aux reins, mal au bras, douceur pourtant de l’émerveillement recommencé à déplier les embouts de la canne à pêche, poser sur le napperon liquide tendu entre les blocs de granite la sauterelle que vient happer la belle noire à points rouges libertaire. Les fleurs d’altitude à même le lit. Un chevreuil surpris dans sa contemplation narcissique. Ses yeux fous de bête apeurée. Des édredons de granite. Les caches sous la pierre. Chaos secret où la respiration tourne au ralenti. Un « floc » discret. L’eau qui sourit. La canne qu’on relève entre les branches avec au bout de cinquante centimètres de nylon seize centièmes le tortillement divin de vingt deux centimètres d’insoumission qu’aucune paire de fesses n’égale dans le gigotement des cages de nuit. Dix neuf heures, la sueur. Assoiffé. Trempé. Des auréoles sur le tricot. Les anges rentrés dans la peau. La vraie lumière du monde, dorée comme une tranche de pain perdu. Le ciel ouvert au souffle, renversé dans le regard d’un plat limpide. Fin août, déjà des œufs dans le ventre que le couteau défait. Odeurs des origines. Suaves. Sauvages. Délicieusement païennes. Il est temps de fermer le ban. Ouf, je t’ai oublié une fois de plus. Au milieu du lit poussent des framboises. Arrêt cueillette. Plus bas les myrtilles descendent jusqu’à la berge, c’est l’endroit où elles sont le plus grosses à cause de l’humidité. Je ne sens plus ma peine, envolées les visions de supermarchés, les bas résilles exaltant des jambes fières, le tas de catalogues consuméristes, tes désirs d’avenir, la taxe carbone, les tétines dans les yeux sont crevées. L’haleine manque un peu beaucoup sur la pente, mes jambes sont lourdes, la chaleur embrase les poumons mais une brise vient encore, ponctuellement, raviver le courage de monter. Tout en haut, le ruisseau joue des coudes, oblique, disparaît, se vide. Un couple de rapaces décrit des arabesques dans le lointain, s’enlace à distance concentrique. J’ai fait la conquête de la fatigue. Etonnement recommencé. Après les pluies quand la terre est encore chaude des brûlures des jours de plomb, ne pas oublier le Laguiole pour couper dignement les cèpes qui viennent sur les bordures.
Extrait de « Considérations éthiques »
Jean Azarel 2009
Peintures de Guan Ze Ju