Au théâtre les répétitions avaient débuté depuis plusieurs jours déjà et les trois compères ne se lassaient pas de s'en réjouir. Musiciens professionnels, ils vivaient chichement au gré des engagements qui se présentaient. Amis depuis leurs années de conservatoire, ils se présentaient groupés dès qu'ils entendaient parler d'un spectacle qui se montait, d'une tournée qui se préparait ou de toutes autres propositions susceptibles de leur assurer un revenu, car ils plaçaient leur amitié avant toute autre considération, ne pouvant imaginer que l'un travaille et pas les autres. Ce n'est qu'en toute dernière possibilité qu'ils admettaient devoir se séparer, travaillant chacun de leur côté si nécessaire mais groupant et partageant leurs cachets pour survivre.
Pierre à l'alto, Paul à la contrebasse et Jacques au basson, le trio de musiciens voyait l'avenir proche s'éclaircir, leur contrat courait pour six mois et si le spectacle plaisait au public une tournée en province était envisagée. Bien sûr ils auraient préféré être engagés par l'Opéra de Paris pour une série de représentations grandioses dont on aurait parlé partout dans la ville mais il y avait longtemps qu'ils avaient remisé dans les étuis de leurs instruments, leurs prétentions artistiques. Et puis ces spectacles avaient aussi leurs avantages, si la musique était moins élaborée qu'ils ne l'auraient souhaité, les danseuses y étaient plus nombreuses et moins farouches que celles se pavanant sur la scène du Théâtre Garnier, et la fosse si proche des artistes que certains grands écarts pouvaient être la cause de notes dissonantes, au grand dam du chef d'orchestre qui tournant le dos au spectacle devinait à ces écarts musicaux agressant ses oreilles, ce que ses yeux venaient de rater !
Musiciens à l'orchestre (1870/1871) de Degas
Huile sur toile 69x49 cm
Frankfort/Main, Städische Galerie im Städelschen Kunstinstitut