À force de nager dans les eaux-vives, ces derniers temps, suivant le banc frénétique animé par mes frères et mes soeurs, je suis étourdi d'idées. Ébaubi, je ne sais plus très bien où ce courant défilant se dirige, s'il se dirige vraiment ou ne tourne pas en rond, ou s'il se dirige tout droit vers l'abîme (sans illusion, je sais que je finirai dans un trou).
L'Achigan ouvre ses yeux écarquillés sur les ressacs des choses fragiles, bousculées par les ondes de choc de chaque heure nouvelle qui frappe. Et comme cela résonne ! Et comme toutes ces idées ont des tentacules longues, gesticulantes, comme elles grattent dans tous les esprits !
Paré de mon manteau d'écailles de poisson ou de créature lézardée, je m'imagine en monstre, crachant par toutes les écoutilles des salves de poésie, crasseux d'intelligence, horrible par ma vérité simple.
Je m'imagine en monstre des brumes sortant la langue dans l'air du soir pour goûter, sentir ne serait-ce qu'une seconde ce que réserve la nuit rebelle, et sentir la fraîcheur humide de l'infini où sont tapies les astres, connaître mieux les possibilités de ma divination. Tout voir, tout savoir à l'avance et en totalité, jusque dans interstices; les ondulations stupéfiantes du réel !
Je suis le monstre que vous n'avez jamais vu. Dans ma fosse de goudron, je lape des nappes giclantes de mots et d'idées qui font des bouillons informes dans mon ventre grossissant. Polymorphe, caméléon nageur, je me débat dans ma chair même, insatisfait, éternellement revêche, sauvage, barbare, assoiffé, brûlant, avec tous les hurlements de la terre en bouche à chaque instant !
Je pousserai la porte de votre chambre la nuit avec mes doigts croches de morue détraquée et mes branchies feront des battements dans l'air. Vos rêves de proies feront des tours saltimbanques qui me feront claquer des mains dans un bruit affreux.
Être un monstre, mais prendre l'apparence d'un homme à-demi, pour alléger l'atmosphère, pour faire sympathique. Être une bête sauvage qui montre les dents pour avaler le monde laid, le monde beau, le monde pulsant des âmes pris dans les tourbillons.
Dragon enfiévré, je répand le feu sur la plaine aride qui va s'enflammer d'un coup...
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Il n'y a pas de poésie vaine, comme il n'y a pas d'homme vain.
Nous avons tous les crachats iridescents des rencontres (des querelles et des amours, des idées plus grandes que la vie), lovés au creux du ventre et foisonnant par les côtes jusqu'à notre gorge serrée.
Comme maître Bast, je suis un féru de poésie, je me languis de vers pullulants de claques fantasques.
Je rêve de me coucher dans le cercueil impavide d'un sonnet ou d'une tirade bien envoyée et qu'on me dépose, une fois dans cette boîte noire et après maintes bastonnades, dans un terreau ou je reposerai en gisant, en laissant ma mémoire couler comme une outre qui se vide...