Les trois journaux publiés par les Editions de L'Aire cet automne, il est d'usage de les traiter ensemble, si on en croit la presse, ou l'intéressant débat qui a été mené par Reynald Feudiger le jeudi 8 octobre au Palais de Rumine, à l'occasion du vernissage de l'exposition Une Aire de liberté (voir ici).
Qui sommes-nous pour déroger à un usage désormais si établi? Donc, obéissons à la coutume. Petit répertoire.
Des trois, celui de Raphaël Aubert a été le plus violemment attaqué, notamment dans une pseudo émission culturelle donc l'incurie n'a pas fini de faire du bruit (voir par exemple ici, ici et ici - particulièrement les volées de bois vert assénés à son animateur dans les commentaires).
Peut-être parce que Chronique des treize lunes est ce qui se rapproche le plus du journal traditionnel. Il y a une entrée pour chaque jour, dans un travail constant de discipline et d'expression. « Je voulais savoir où passe la vie », a dit Aubert dans le débat dont je parlais ci-dessus.
Cette démarche quotidienne produit toutes sortes de textes dont la variété ou l'abondance laissent bien sûr des latitudes à la critique. Il est possible par exemple de dire de l'auteur ce que disait Léon Bloy de Huysmans: « Il ne se hait point. » On peut avec la plus mauvaise foi du monde recenser quelques maniérismes dans le projet. Je citerai cette manie de décrire chaque jour le temps qu'il fait. (Raphaël Aubert s'en est d'ailleurs expliqué: il s'agit d'une référence personnelle au journal de son père, qui faisait de même sur un agenda.)
Mais il serait tout à fait injuste de réduire son livre à quelques aspects finalement mineurs. Chronique des treize lunes n'est d'abord pas un journal psychologique. Raphaël Aubert y décrit plus son emploi du temps et ses réflexions qu'il n'analyse son moi.
Outre le compte-rendu des événements politiques de l'année 2008, qui nous semble déjà, à la lecture, étonnement lointaine (c'est l'année d'investitude américaine, les luttes entre Hillary Clinton et Obama, la désignation par MacCain de sa colistière Sarah Palin...), une grande part de ce journal est consacrée à l'art.
Raphaël Aubert est le fils de l'artiste Pierre Aubert (1910 – 1987), dont on voit un bois gravé en illustration de cet article.
Ses réflexions sur la peinture, l'art contemporain, la création sont tout à fait intéressantes. Il défend avec ardeur ses admirations littéraires (BHL, Houellebecq...) Son journal a en plus une singularité: il est le miroir du très bon roman publié en même temps que lui: La Terrasse des éléphants, dont on reparlera bientôt ici. Aubert y consigne l'avancée de son travail et ses inflexions. De la matière, donc, à se mettre sous la dent...
Quant au reproche de nombrilisme... Bien évidemment, quand on laisse publier un journal intime, on court le risque d'en être accusé. Le genre veut qu'on parle de soi. On s'affiche en public et il faut évidemment s'attendre à des réactions. Une telle publication affirme en effet l'importance que l'auteur prête à sa vie (que celui qui n'a jamais péché lui jette la pierre). Il prétend que celle-ci peut intéresser, à cause de la singularité des actes ou des, pensées ou de la sensibilité, ou à cause de l'importance de l'œuvre. C'est le cas des journaux d'écrivains, que l'usage est en général de rendre public quelques années après la mort de l'auteur.
Si on n'aime pas ce genre, il vaut mieux éviter l'irritation qu'un tel étalage de moi peut provoquer. Personnellement, je suis amateur, et je me rappelle avec le plaisir d'un gastronome qui évoque un repas savoureux aux plats variés les journaux des Goncourt, de Benjamin Constant, Jules Renard, Gide, Léautaud, Ramuz, Kafka...
Mais voilà déjà que le temps me fait défaut et que ma note s'allonge. On sait que celles d'un blog doivent être courtes, c'est le genre qui veut ça. La suite, donc, demain.
Raphaël Aubert, Chronique des treizes lunes, L'Aire, 2009