« Enfants des sables, Une école chez les Touaregs » de Moussa AG ASSARID et Ibrahim AG ASSARID est un livre plein de sagesse.
Cela aurait pu être un récit de vie, beau mais simple, ou mièvre, il n’en est rien. Nous suivons l’aventure réelle de deux frères Touaregs du Mali vers l’instruction (ou comment lire « Le petit prince » de Saint-Exupéry tombé des mains d’une journaliste du Paris-Dakar) et le passage du flambeau de l’école à leur communauté. C’est l’histoire d’un projet de vie mais aussi d’un tournant dans le mode de vie de ces nomades. Au départ, les deux voix s’entremêlent, nous contant leur périple vers des études secondaires. Puis c’est un don de soi qui prend la suite, les deux frères vont ouvrir une école pour les enfants Touaregs et, comble d’un certain paradoxe (qui se délie au fil des pages) pour que leur culture ne disparaisse pas. L’étincelle du projet, les solutions trouvées, les sensibilisations, les motivations à donner aux acteurs, aux familles, la réalité hors des campements (vie et mort), la pérennité de l’entreprise, tout cela nous amène loin, de nous, de notre scolarité mais aussi de notre culture…et nous y ramène. Il est dit du premier livre de Moussa AG ASSARID qu’il s’agissait d’une confidence au coin du feu faite en buvant les trois thés des nomades, ce livre-ci nous apporte aussi dans le désert avec cette sincérité des amis.
Et là est toute la richesse du livre. J’ai aimé le récit de vie de ces deux frères mais plus encore toute leur réflexion sur leurs traditions, leurs voies pour l’avenir de leur ethnie et leur sagesse dans l’éducation.
Ce livre est très fort pour nous montrer ce que l’éducation des enfants amène comme dangers dans la vie des nomades. Dans le désert, tout le monde est mis à contribution pour survivre, les enfants y compris. La seule richesse est le nombre de chèvres et la vie en groupe, solitude et entraide mêlées. Les enfants après leurs études peuvent ne pas vouloir revenir et subvenir aux besoins des plus âgés. Les Touaregs sont aussi un peuple réuni, important dans leur groupe et non dans leur individualité. L’ouverture vers l’occident est aussi un potentiel déracinement, une perte des repères, de l’être même (élément indissociable du groupe). ...
Tout s’oppose à l’éducation : l’éloignement des familles élargies, le rassemblement très près de cet autre peuple avec qui l’histoire les a opposés, les Songhaïs (un des peuples noirs, les Touaregs ont la peau plus claire, pour le plus visuel). Le conflit Touareg est expliqué ici et la suite là.
Le poids des traditions reste très présent, l’avancée est difficile. Pour motiver les parents, il faut les référents de la culture, en plus des initiateurs du projet. La sensibilisation aux menaces dû à la sécheresse et au contexte démocratique des pays (nomadisme voué à disparaitre dans la forme connue, non-représentation des minorités si ce n’est par elles-mêmes) doit s’appuyer sur les traditions même : l’Imam (pilier de la culture), une femme (l’âme des campements) et un père de famille, le père d’Ibrahim et de Moussa (porteur de l’autorité). L’éducation est un risque. Le père des deux frères apporte sa première pierre d’achoppement à cette sagesse de vie : « Il estime qu’il faut prendre le risque d’évoluer. Mais évoluer, ce n’est pas renier. Il sait que, où que nous soyons, nous reviendront toujours boire avec lui le thé sous la tente. Il nous a appris à respecter le passé sans pour autant le subir. ».
La vie nomade est condamnée, Moussa AG ASSARID le confirme ici ou lors d’un discours à l’ONU (dans le cadre d’un Forum des Peuples Autochtones FIPAU en tant que membre de l’Indigenous4earth): vous pouvez le lire ici. Si le FIPAU (belle entreprise dans l’idéologie, moins bien desservie par leurs dirigeants et leurs budgets) vous intéresse et que vous souhaitez suivre les débats, c’est ici.
Le livre montre aussi la force de caractère des deux frères, l’un investi en France pour rechercher les financements, mobiliser des personnalités et au Mali pour sensibiliser les familles dans les campements, l’autre investi à l’école en tant que professeur, directeur, crédible car soutien des traditions et soutien de famille. Leur destin marque une opiniacité, une ouverture vers les autres d’une sagesse désarmante. « Je suis leur professeur, ils m’enseignent la vie. »
Même leurs vies amoureuses se trouvent mobilisées, comme dit Ibrahim, « Nous n’avons pas le temps de la légèreté. », il faut tout de suite se souder et croire en l’avenir ou comment faire des enfants pour soi mais aussi pour crédibiliser une position, pour perpétuer l’espoir d’un peuple.
Quelques portraits d’élèves montrent le rapport, particulier, du peuple nomade à l’éducation. Des exemples multiples et infinis de cette difficulté à suivre la voie de l’éducation mais aussi cette attirance du savoir, cette volonté de représenter son peuple, d’être l’instructeur de sa famille, d’être libre de son avenir. Loin d’être une scolarisation obligatoire, là se dévoile une éducation pour la liberté.
Et puis pour compléter cette belle lecture, tellement instructive, quelques différences majeurs de pédagogies familiales entre les Touaregs du Mali et les parents français. Entre autre : la responsabilisation des enfants, très tôt, peu de limites même prudentielles (éprouver soi-même le danger pour faire sienne la directive), professeurs comme véritable guides, en écho de l’éducation parentale, inculquer comment se défendre contre les attaques, sans l’aide d’un tiers, la débrouillardise mise au rang principal pour ne pas avoir l’illusion d’être soutenu à vie.
L’école des sables de Taboye au Mali existe vraiment, pour avoir l’impression de rendre visite à Ibrahim et à son internat, c’est ici. Et n’hésitez pas à lire les dernières nouvelles, les suivantes seront à suivre sur le blog d’ENNOR ou celui de Moussa AG ASSARID ou encore celui de La Caravane du Coeur. Le projet est superbe et mérite bien le support de la Succession Saint-Exupéry, l’école est décrite dans cette lettre. Si cette fratrie AD ASSARID vous intéresse, le blog Awanekkinnan vous livre billet par billet un peu de leur sagesse et nous amène à reconsidérer la scolarité des enfants au Mali.