Comment lire la poésie
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Chez Baudelaire, qui était si sensible aux parfums, chaque poème est vraiment comme un flacon où seraient enfermés les plus voluptueux et les plus vastes souvenirs. Cela tient à un art suprême du choix des mots, de la structure de la phrase, de la combinaison des images et des idées. De sorte que la lecture d'un seul de ses poèmes, pris au hasard, ou d'une brève suite comme Le Voyage, suffit pour brusquement illuminer notre scène intérieure, nourrir, modifier, faire vibrer notre vie cachée. Tout poème exige simplement, d'abord, ce vaste espace tranquille autour de lui, pareil au cadre du tableau, pour être entendu avec toute sa richesse. Si on ne lui demande pas une histoire, une explication, même une évasion hors de la réalité, si on comprend au contraire que chaque beau poème est l'expression d'un moment de particulière intensité chez celui qui l'a écrit, alors sa lecture reprend un sens. Il faut évidemment accepter une condition préalable qui [...] est un défi à notre époque : celle de l'arrêt. Il faut suspendre un instant le tourbillon de l'action, le mouvement de notre hâte inquiète, assourdissante, s'immobiliser, et laisser s'ouvrir cette étrange promesse comme on voit s'ouvrir une graine. L'opposition de la poésie et des grands événements de notre temps, c'est peut-être le combat de la graine et du tonnerre.
Philippe Jaccottet, Tout n'est pas dit, Le temps qu'il fait, 1994, p. 21-22.
Contribution de Tristan Hordé