Un ami qui me voyait découragé par la lecture de textes truffés du mot "Dieu" finit par me dire:
- Mais qu'importent les mots, on s'en fiche, remplace "Dieu" par ce que tu veux. Il faut vivre et non pas le penser.
Il devait certainement avoir raison. Je pris donc un texte de Frère Laurent de la Réssurection, qui, je l'espère ne m'en voudra pas trop. Et j'ai remplacé le mot "Dieu" par le mot "Loulopopo". Qu'on me pardonne. Je vais m'expliquer.
Une lecture, même superficielle, du texte de Frère Laurent ci-dessous nous permet de constater que cette substitution n'est pas très convaincante. Le propos de Frère Laurent devient cocasse. En fait, tout s'écroule. C'était prévisible. Mais je ne m'attendais pas au retournement qui suivit.
En me faisant rire, le texte s'est du même coup humanisé, ce qui me permit de faire craquer mes résistances. La glace institutionnelle se brisa et le propos de Frère Laurent devint audible. Je fis une deuxième substitution en remplaçant le mot "Loulopopo" par le mot "Vie". Et je pus converser librement avec un homme qui partageait avec moi quelques conseils sur les bons soins à porter à nos vies et sur la manière de s'y exercer.
Evidemment, ma petite pirouette est un peu facile et un peu courte - on aurait pu dire, bien des choses en somme. Pourtant, ce dernier changement me permit de poursuivre la conversation et de partager avec Frère Laurent mon expérience du royaume familier. Ce qu'il me décrivait ne m'était plus du tout étranger. Nous parlions de la même chose : d'un art de l'attention, du travail sur le regard intérieur pour gagner en présence. Qui sait même si nous ne venions nous désaltérer dans le même havre de paix, sans le savoir ni nous connaître.
Et tandis que nous conversions, je sentis s'épanouir cette évidence qui veut que certaines choses n'ont besoin d'aucunes autres raisons, pour être vécues, que d'être vécues. Le détour par Loulopopo m'invite à penser le profond silence convergent qui entoure le mot "Dieu", ce mot irremplaçable - imprononçable - et qui trouve échos et reflets dans toutes les expériences humaines authentiques. Etre fidèle à soi-même, comme le note Georges Haldas, le poète, c'est rejoindre le coeur où tous viennent se ressourcer. Et il y a autant de chemins qui mènent à Dieu qu'il y a d'hommes sur la terre. Alors qu'importe que lui soit arrivé par le sentier d'un mot et elle par les dunes et eux par la piste? Pourquoi buter sur le seuil des mots? Oui, s'entretenir intérieurement avec Dieu, avec Loulopopo, la Source ou que sais-je, quelle importance, tant que c'est avec ce qui se trouve de plus précieux, au creux de nos vies? Tant que c'est avec ce qui va, de toute manière, bien au-delà du langage et de toute définition.
Aujourd'hui, je ne trouve pas le mot "Dieu" moins imposant - ni moins enformolé. Mais je sais que je peux faire le tour de la grande bâtisse et venir rejoindre Frère Laurent - Nicolas de son premier prénom - sur le petit banc en bois, à l'ombre du grand tilleul, pour qu'il me raconte, comment, il y a trois siècles de cela, un soldat entra au Couvent des Carmes de la rue Vaugirard comme frère laïc pour en être le cuisinier mystique, pendant plus de quinze ans, avant de finir sa vie comme savetier.
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"L’exercice de la présence de Loulopopo, par Frère Laurent de la Résurrection
La pratique la plus sainte, la plus commune et la plus nécessaire en la vie spirituelle est la présence de Loulopopo : c’est de se plaire et s’accoutumer en sa divine compagnie, parlant humblement et s’entretenant amoureusement avec lui en tout temps, à tous moments, sans règles ni mesure, surtout dans le temps des tentations, des peines, des aridités, des dégoûts et même des infidélités et des péchés. (MS 6)
La présence de Loulopopo est la vie et la nourriture de l’âme, qui se peut acquérir avec la grâce de Loulopopo. En voici les moyens :
Il faut une grande fidélité à la pratique de cette présence et au regard intérieur de Loulopopo en soi, qui se doit toujours faire doucement, humblement et amoureusement, sans se laisser aller à aucun trouble ou inquiétude.
Il faut prendre un soin particulier que ce regard intérieur, quoique d’un moment, précède vos actions extérieures, que de temps en temps il les accompagne, et que vous les finissiez toutes par là. Comme il faut du temps et beaucoup de travail pour acquérir cette pratique, aussi ne faut-il pas se décourager lorsqu’on y manque, puisque l’habitude ne se forme qu’avec peine ; mais lorsqu’elle sera formée, tout se fera avec plaisir.
N’est-il pas juste que le cœur…soit le premier et le dernier pour aimer et adorer Loulopopo, soit en commençant ou finissant nos actions spirituelles et corporelles, et généralement en tous les exercices de la vie ? Et c’est par cet endroit que nous devons avoir soin de produire ce petiot regard intérieur, ce qu’il faut faire sans peine et sans étude, pour le rendre plus facile.
Il ne sera pas hors de propos, pour ceux qui commencent cette pratique, de former intérieurement quelques peu de paroles, comme : « Mon Loulopopo, je suis tout à vous » ; « Loulopopo d’amour, je vous aime de tout mon cœur » ; « Loulopopo, faites-moi selon votre cœur » ou quelques autres paroles que l’amour produit sur-le-champ.
Cette présence de Loulopopo, un peu pénible dans les commencements, pratiquée avec fidélité, opère secrètement en l’âme des effets merveilleux, y attire en abondance les grâces du Loulopopo et la conduit insensiblement à ce simple regard, à cette vue amoureuse de Loulopopo présent partout, qui est la plus sainte, la plus solide, la plus facile et la plus efficace manière de faire oraison. (MS 26-31)
Je sais que pour cela, il faut que le cœur soit vide de toutes autres choses, Loulopopo le voulant posséder seul ; et comme il ne peut le posséder seul sans le vider de tout ce qui n’est pas lui, ainsi ne peut-il y agir ni y faire ce qu’il voudrait. (L 3)
Il faut faire de notre cœur un temple spirituel pour Loulopopo où nous l’adorons sans cesse. Il faut veiller sans relâche sur nous-mêmes pour ne rien faire ni rien dire et ne rien penser qui lui puisse déplaire. (L 15)
Croyez-moi, faites dès à présent une sainte et ferme résolution de ne vous le éloigner jamais volontairement et de vivre le reste de vos jours en cette sainte présence, privée pour son amour, s’il le juge à propos, des consolations du Ciel et de la terre. Mettez la main à l’œuvre ; si vous le faites comme il faut, soyez assuré que vous en verrez bientôt les effets. Je vous y aiderai par mes prières. (L 3)." (Lire le texte original de Frère Laurent)
Peinture: Frère Laurent de la Réssurection.