De semaines en semaines, les bourrasques médiatiques se succèdent et… se ressemblent. D’un Hortefeux aux saillies litigieuses à Jean Sarkozy parachuté à la Défense sous les huées d’une opposition commodément outrée, en passant par les hurlements aux soutiens à Polanski eux-mêmes suivis des beuglements sur la sexualité de Frédéric Mitterrand, tout semble concourir pour conserver l’esprit des Français très occupés par les spectacles offerts.
Et ces spectacles sont de plus en plus racoleurs, de plus en plus bas, et sentent de plus en plus mauvais.
Si la situation, par ailleurs, n’était pas si calme et si prometteuse, on en déduirait presque à une tentative incroyablement audacieuse de la part de certains dirigeants d’utiliser la technique de la seiche devant un danger : produire un épais et large nuage d’encre bien sombre pour tromper l’attaquant.
On focalise ainsi l’ennemi sur un décor fuyant, qui aveugle et empêche une réflexion sereine ou une certaine prise de recul.Tout se passe comme si, dans un premier temps, alors que la situation laissait envisager le meilleur, on avait ébloui le peuple avec du strass et des paillettes : une américanisation du discours politique, de l’action, du jeu de jambe ou des petits mollets galbés sur des bicyclettes de course, un divorce en fanfare et un mariage glamour avec feux d’artifices et déclarations fracassantes à Gandrange.
Et puis, lorsque la crise arrive et que finalement, la situation se découvre moins rose que prévue, on continue un temps les roulements de pectoraux… qui finissent par lasser.
Il faut donc du lourd, du préoccupant, du scandale.
Et comme on a maintenant l’habitude des shows à grand spectacle, il faut du musclé.
Le scandale sera donc d’autant plus glauque que la situation est préoccupante et que le nombre de regards à détourner sera élevé.
En scène, nous aurons donc un ministre qui a trempé le biscuit dans de l’éphèbe, et qu’on qualifiera de « courageux ». Ou, une fois le sujet épuisé et la pression retombant, on pourra toujours se la jouer famille Corleone et petits arrangements sur gros fromages, avec tout ce que ça comporte de chapeaux mous, costards à fines rayures et balafres patibulaires dans des décors enfumés.
En coulisse, les constats sont toujours les mêmes : la crise s’installe dans les esprits, est là pour durer si on lit les petits entrefilets discrets par-ci par-là, et semble même toucher (enfin et surtout ?) les plus beaux palais de la République, puisqu’on apprend consterné que des cas de gale ont été déclarés à … l’Elysée.
Finalement, la France ne semble plus avancer que par petits déplacements microscopiques, en parallèle aux spectacles pyrotechniques et gaudriolesques. C’est l’aspect « On Fait Des Choses« , dont on devine et le côté menée presque par dépit pour les quelques regards qui ne sont pas attirés par les quéquettes à l’air des Blue-Belle Boys gouvernementaux.
Il en va ainsi de la dernière bricole concernant le lycée. Pour résumer, le président a donc penché son auguste personne sur le dossier et a abouti aux propositions ci-après. A les lire, on peut en déduire qu’il s’est un peu trop penché sur le dossier et a chu de tout son poids au milieu d’une épaisse paperasse ébouriffante :
- la filière scientifique, c’est bien, mais les autres sont chouettes aussi. Si si. Et pour les rendre plus attractives, on va y ajouter du droit, de l’étude des langues & civilisations étrangères, et ça va donner grave. Ça tombe bien : on a des moyens, avec toute cette croissance. Et pour assurer aussi le niveau des IUT, on va leur imposer un quota de bacheliers des filières technologiques. C’est bien connu, les numerus clausus et les quotas, ça donne toujours d’excellent résultats. Après la discrimination positive à l’embauche, on aura des quotas de filières dans les IUT, puis des quota de couleurs, de sexes, d’origine sociale.
- on introduit maintenant le droit à l’erreur, qui consistera pour les élèves à pouvoir changer de série en cours d’année. Là encore, les moyens à mettre en œuvre sont laissés à l’intendance, qui suivra car elle a des ronds pour ça. Non ? Mais si mais si qu’on vous dit. Ne soyez donc pas si négatifs.
- une petite proposition d’accompagnement personnalisé, chose qui n’avait plus été proposée depuis ouh là bien facilement au moins un ou deux ans, et qui permettra aux lycéens d’acquérir des méthodes de travail, ce qui est extrêmement rassurant pour des élèves de 15 à 18 ans. On se demande au passage à quoi auront servi les nombreuses heures au collège.
- la responsabilisation du lycéen, qui, comme chacun sait, est du ressort de l’Éducation Nationale et pas des parents, dont la mission consiste, à intervalle régulier, à pousser des aliments cuits dans le bec des oisillons lycéens et à payer, toujours de façon régulière, des impôts en augmentation exponentielle pour que le système fonctionne.
Tout ceci est particulièrement pertinent, courageux et prometteur.
Certes, les habituels thuriféraires du président auront vite fait de dire « c’est mieux que rien » ou, variante, « ça, c’est de l’action !« , sans oser noter que tout ceci a déjà été proposé, d’une façon ou d’une autre, par les vingt ou trente précédentes réformettes régulièrement avortées sur l’Éducation Nationale.
D’ailleurs, à lire leurs réactions, les différents groupement de branleurs syndicats lycéens et autres politiques ne s’y trompent pas : elles applaudissent mollement à l’idée que les lycéens vont pouvoir foutre un bazar sans nom dans les établissements en choisissant de changer inopinément de filière en cours d’année, tout en passant sous silence tout le reste, pudiquement classé dans la catégorie des bricolages sans impact… faute de moyens. C’est de bonne guerre : toute opportunité de trouver un angle d’attaque pour leurs prochaines merguez-parties manifestations est bonne à prendre.
En réalité, le mal est profond.
Qu’il soit au lycée ou, plus généralement, dans l’enseignement scolaire, on ne peut que constater que les efforts des uns et des autres pour relever le niveau général des connaissances et de la culture moyenne des élèves auront été soldés par des échecs. De façon tout à fait coïncidentale (?) est d’ailleurs paru un excellent article de J.C. Brighelli. Avec son habituel talent, il retrace les déboires d’une prof de Français qui a constaté l’effritement puis l’effondrement des savoirs dispensés dans les collèges de France au cours des trente dernières années.
Ce qu’on peut en retenir, c’est essentiellement que si l’Éducation n’est plus que l’ombre d’elle-même, ce n’est certainement pas par manque de moyens : ceux-ci n’ont jamais été aussi importants, les budgets n’ayant jamais arrêté de gonfler.
En revanche, les méthodologies, les expériences et les innovations tubulaires avec des boutons qui font pouic et des leviers qui font schplonk se sont multipliés, d’autant plus que justement, les moyens pour ceux-là n’ont jamais manqué.
Les réformettes qu’entreprend Sarkozy sur le lycée ne sont que ça : des réformettes. La vague de lycéens qui affronte actuellement le grand néant cotonneux qu’est devenu l’enseignement en France est belle et bien une génération perdue : perdue parce que les réformes vigoureuses ne sont pas mises en place (abandon de la carte scolaire, abandon des sacro-saints 80% de reçus au bac, abandon des numerus clausus en Fac, retour de la discipline, des savoirs fondamentaux, des méthodes de base, pour ne citer que quelques éléments).
Perdue, parce que les lycéens d’aujourd’hui sont les enfants d’hier nourris aux abrutissantes pédagogies alternatives qui leur ont permis de construire eux-mêmes leur savoir ignorance.
Perdue, parce que la recherche et la gratification de l’excellence, en France, sont purement et simplement honnies.
Et pendant que se joue, littéralement, l’avenir du pays, la classe politique, encore toute gluante de bacchanales inavouables, vient rouspéter sur l’immoralité d’un ministre et le népotisme d’un président de plus en plus mal entouré.
Pas de doute : on a su garder le sens des priorités.