Pour célébrer le 20ème anniversaire du Festival du Film Britannique de Dinard, les organisateurs, plutôt que de se tourner vers l'histoire passée du festival, on décidé de regarder vers l'avenir en choisissant dix réalisateurs britanniques (Andrea Arnold, John Crowley, Saul Dibb, Ben Hopkins, Asif Kapadia, James Marsh, Pawel Pawlikowski, Lynne Ramsay, Christopher Smith, Edgar Wright ) et qui ont confirmé leur talent avec une deuxième œuvre. Un film de chacun de ces futurs talents a été projeté lors de cette 20ème édition et 6 réalisateurs étaient présents (Jan Dunn, Ben Hopkins, Christopher Smith, Asif Kapadia, Gerard Johnson, Pawel Pawlikowski) pour une rencontre publique et un passionnant débat sur le cinéma britannique et essentiellement son financement et ses difficultés. Le débat était mené par le caustique Derek Malcolm.
Jan Dunn a été la première à intervenir et à évoquer le financement de « The Calling » qu'elle a présenté en avant-première à Dinard. Elle raconte avoir écrit en ayant d'abord en tête l'endroit et le budget : « Le lieu et le budget sont les éléments moteurs quand j'écris un film puis le script. En trois ans on a ainsi fait trois films. »
Ben Hopkins quant à lui a expliqué qu'il avait perdu trois ans à essayer de monter trois longs en Grande-Bretagne et que c'est finalement en Allemagne que le film a été produit par un producteur iranien et qu'il a eu le final cut qu'il n'aurait pas eu en Grande-Bretagne. Suite à cette expérience, il habite aujourd'hui entre Berlin et Istanbul.
Christopher Smith a expliqué avoir commencé à faire des films d'horreur « par accident », « c'est un peu aussi ce que le marché demandait et côté financier travailler dans un genre facilite un peu les choses, et dans ce genre on a des budgets plus importants que pour les autres films britanniques. »
Asif Kapadia, avec « The Warrior », a connu un grand succès dans les festivals qui ne s'est pas retrouvé dans le box office avec ce film très inhabituel réalisé loin de tous les conseils donnés à un réalisateur qui débute : le film a ainsi été tourné dans le désert indien et malgré le budget il souhaitait réaliser une épopée ample. Il a ainsi expliqué que même un an et demi après la sortie du film, il faisait encore la promotion et accompagnait le film. « Je suis un réalisateur qui écrit mais qui écrit lentement donc pour survivre j'écris un projet qui est une adaptation et un projet personnel ».
Derek Malcolm ayant souligné que cette année les films avaient plutôt tendance à ressembler à des films de télévision, Gérard Johnson (le réalisateur de « Tony » présenté en avant-première à Dinard) a précisé adorer le cinéma et détester la télévision. Pour réduire le budget, il a « utilisé » beaucoup de membres de sa famille : l'acteur principal est ainsi son cousin, le musicien son frère et il a tourné en douze jours ce projet qu'il avait depuis 2004 en tête.
Pawel Pawlikowski a expliqué qu'il n'avait pas de formation de documentariste. Ainsi, les gens du documentaire n'aimaient pas ce qu'il faisait lui disant de faire des fictions et maintenant qu'il fait des fictions on lui dit de retourner au documentaire car il utilise désormais toujours la caméra à l'épaule alors que quand il faisait du documentaire, il n'utilisait que la caméra sur pied.
Jan Dunn a également expliqué que pour ses films elle n'a jamais d'argent pour la presse et la promotion et l'argent qu'elle a reçu pour son film provient uniquement de l'aide régionale. Selon cette dernière, les décideurs ont du mal à sortir de leurs goûts personnels et il y aurait un public plus âgé féminin sans films faits pour lui. Elle a l'impression que les femmes réalisatrices dans l'industrie du cinéma sont mises de côté. Elle adorerait ainsi faire un film d'action.
Derek Malcolm a ensuite fait remarquer que Mike Leigh par exemple a plus de salles qui montrent ses films à Paris que dans la totalité du Royaume Uni. « A Londres on fait ainsi tout le temps la différence entre un film commercial et un film art et essai. Parfois on oriente un film art et essai vers une sortie commerciale et il ne dure alors qu'une semaine. »
Ben Hopkins est ensuite revenu sur ses difficultés financières en expliquant que depuis six mois, il essaie de trouver un travail rémunéré : « Pour moi c'est compliqué car il faut que je m'y astreigne pour manger. »
Pawel Pawlikoswski a alors comparé le système français et le système britannique comparant les critères esthétiques de l'avance sur recettes aux critères selon lui technologiques en Grande-Bretagne. Selon ce dernier, en Grande-Bretagne « on fait trop de films médiocres car c'est facile d'avoir de l'argent et on fait toujours des sujets sociologiques. » Il n'y aurait également « pas assez de critique contradictoire en Grande-Bretagne, pas beaucoup de cohérence artistique. »
Derek Malcolm, lui-même critique, a été encore plus critique envers les critiques britanniques rappelant ainsi une anecdote, un critique qui estimait qu'il était dommage qu'Hitchcock n'ait réalisé que quatre ou cinq films ou évoquant ces étudiants en « Media studies » qui « n'ont même pas entendu parler de David Lean. » « On a en Angleterre une culture du tout littéraire, théâtral, musical mais pas cinématographique. Il n'y a pas d'évidence à s'intéresser culturellement au cinéma. Le résultat de cet état culturel est qu'on a une culture Mac Do chez les exploitants qui préfèreront mettre à l'affiche « Transformers ». Le plus déprimant c'est que dans la récession des dix-huit derniers mois c'est le cinéma art et essai qui souffre plus que le cinéma commercial. »
Asif Kapadia a exprimé un message plus optimiste : « Mon message : il me semble que les choses sont possibles. Il faut savoir ce qu'on veut, ce pour quoi on se bat et cela prendra peut-être quatre ans. »
Pour Gérard Johnson « On fait le meilleur métier au monde. Ce n'est pas comme travailler en usine. On n'a pas de quoi se plaindre ... même s'il y a beaucoup de réalisateurs, peut-être trop. »
Pour clore le débat, Derek Malcolm demande à chacun ce qu'il ferait si on leur offrait 60 millions pour faire un film à Hollywood. Jan Dunn a répondu qu'elle accepterait et qu'elle reviendrait ensuite chez elle pour utiliser son argent pour faire le film qu'elle a envie de faire. Asif Kapadia a quant à lui raconté qu'il était allé à Los Angeles et y avait ressenti beaucoup d'hypocrisie : « beaucoup de gens, de salauds qui se font renvoyer par un encore pus salaud qui dit le contraire. » Pour Pawel Pawlikowski qui a un agent à Hollywood « là bas tout le monde a un avis très rapidement, trop rapidement sur tout. » Gérard Johnson dirait oui mas pas pour un film de 60 millions mais pour 10 films de 6 millions car il ne sait pas ce qu'il pourrait faire avec tout cet argent pour un seul film : « Je pense qu'il est possible d'aller à Hollywood et de faire des films personnels. »