Une jeune fille de 11 ans qui jouait à proximité de son village a du être amputée partiellement d’une de ses jambes après avoir marché sur une mine anti-personnelle installée par les forces armées turques. Quelques minutes avant le drame, un gendarme avait demandé aux enfants qui jouaient de quitter la zone dangereuse et c’est en le faisant que la jeune fille a été blessée. Si les poursuites criminelles, initiées par le Procureur et non par la famille de la victime, ont été abandonnées car les autorités turques n’ont pas identifié de fautes de la part de l’armée, une indemnisation fut allouée sur le terrain du « principe du risque social » (”social risk principle” - régime de responsabilité sans faute).La requête dont a été saisie la Cour européenne des droits de l’homme alléguait que les autorités avaient violé l’article 2 (droit à la vie) par leur manquement à l’obligation de ne pas porter atteinte à la vie et, sur le plan procédural, à l’obligation d’enquête effective sur les circonstances du drame.
La Cour ne pourra cependant pas poursuivre son examen au fond, faute pour les requérants d’avoir respecté le délai limite pour introduire une requête (Art. 35.1), soit 6 mois à compter de la dernière « décision interne définitive » (ici, la décision d’abandon des poursuites pénales et non celle relative à l’indemnisation, ce dernier régime de responsabilité sans faute ne pouvant pas constituer un remède effectif à une violation de l’art. 2 - § 33).
Toutefois, cet arrêt ne constitue pas totalement pour la Cour une occasion manquée de se prononcer sur un sujet important mais rarement abordé à Strasbourg. Les juges européens ont en effet admis l’applicabilité des exigences de l’article 2 aux conséquences des mines anti-personnelles et ont peut-être ainsi posé les jalons d’une possible obligation étatique de destruction de ces mines restées dans des espaces civils (V. contra, mais dans un contexte bien différent, Com. EDH, déc. 18 octobre 1995, Tugar c. Italie, req. n° 22869/93, où l’ancienne Commission estimait que : « it is undisputed that the placing of the mines is not in itself a matter for which the respondent Government are responsible under the Convention »).
De plus, les juges soulignent avec vigueur les effets catastrophiques des mines anti-personnelles, “armes inhumaines frappant sans discernement, qui touchent les vies d’un nombre disproportionné de civils et d’enfants, et dont beaucoup sont posées intentionnellement à des fins létales” (« the Court considers that the laying of such indiscriminate and inhumane weapons as anti-personnel landmines, which affect the lives of a disproportionate number of civilians and children, amounts to intentional use of lethal force and, as such, the applicable principles in the present case are those developed in the Court’s case-law concerning the negative obligation under Article 2 of the Convention » - § 30).
Enfin, si la Cour juge ce dernier grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement (Art. 35), elle condamne la Turquie pour la violation de l’article 6 (droit à un procès équitable) qui résulte de la durée excessive de la procédure d’indemnisation.
Alkin c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 13 octobre 2009, req. n°75588/01 ) - En anglais