Délits d’Opinion : Dans une étude que vous avez réalisée avec l’Ifop il y a tout juste un an, vous plaidiez pour plus d’éthique. Estimez-vous qu’aujourd’hui l’éthique est redevenue une valeur majeure, en particulier dans les milieux économiques et financiers ?
Aude Zieseniss de Thuin : En effet, nous exprimions déjà l’année dernière la nécessité de remettre l’éthique au cœur de nos préoccupations. Les événements qui se sont déroulés depuis un an démontrent à quel point cette question était vitale. Recherche du profit sur le court terme, subprime : nous vivons une crise des excès qui impose de revenir à des valeurs saines. Mais elles auront de grandes difficultés à supplanter les valeurs du capital et de l’argent car la vision cour-termiste qui s’est imposée depuis quelques années est encore profondément ancrée malgré les soubresauts de la crise.
Délits d’Opinion : La solution peut-elle venir de ceux qui n’ont jusqu’ici pas eu suffisamment droit à la parole ?
Aude Zieseniss de Thuin : C’est possible. La crise pourrait offrir aux pays en voie de développement mais aussi aux femmes l’opportunité de s’exprimer afin d’imaginer un avenir différent et plus optimiste. Le problème majeur qui se pose néanmoins c’est la raréfaction des crédits et la difficulté de défendre une vision différente de celle qui a toujours prévalu.
A l’inverse, la montée sensible des prix des matières premières pourrait donner à certains pays comme la Russie et certains pays africains la possibilité de prendre la parole pour contribuer à une redéfinition d’une éthique du capitalisme mondial. Mais ce travail ne sera pas aisé car l’éthique tant recherchée ne sera que l’aboutissement d’un travail conduit en interne et en particulier dans ces pays.
Parmi les forces vives qui pourraient contribuer à faire évoluer l’éthique on se doit d’insister sur les femmes, principales victimes de la crise dans les pays en voie de développement. Le mouvement qui devait aboutir à un meilleur équilibre entre les sexes s’est vu stoppé net par la crise car les économies ont d’abord été réalisées sur des postes comme l’éducation et la formation. Comme tout moment charnière, les risques sont à la hauteur de ce que les acteurs peuvent gagner. La crise est grave mais elle offre dès aujourd’hui la possibilité aux femmes de se révéler comme un atout majeur pour l’avenir.
Délits d’Opinion : La crise et ses causes constituent-elles une forme de réhabilitation des femmes en particulier pour une meilleure gestion des risques ?
Aude Zieseniss de Thuin : La crise va logiquement donner l’opportunité à des groupes jusqu’ici peu visibles de prendre la parole et de s’exprimer. Les femmes vont avoir cette chance. Mais, encore faut-il qu’elles puissent prendre l’initiative. Aujourd’hui chacun se réfugie derrière une version à court terme et plus individualiste que jamais sans faire référence à une démarche globale.
Si les femmes se mobilisaient et affirmaient leur envie de faire bouger les lignes de forces de la société alors elles seraient en mesure d’obtenir des choses, ne serait-ce que du point de vue démographique, la moitié de la planète doit pouvoir s’exprimer et compter.
Cependant, on est bien obligé de reconnaitre qu’aujourd’hui elles ne jouent pas pleinement ce rôle en particulier parce qu’elles ont d’autres préoccupations, d’ailleurs légitimes, que l’on pourrait rassembler sous l’expression de la « sphère privée ».
Délits d’Opinion : Selon une récente étude du cabinet de recrutement Russel Reynolds, en 2006 il y avait 7,78% de femmes dans les conseils d’administration et 9,4% en 2008. Comment expliquer que la situation stagne alors qu’au niveau des salaires on note un rattrapage plus rapide ?
Aude Zieseniss de Thuin : Je pense qu’en France, on évolue dans un système principalement fondé sur le principe de cooptation. La situation de crise dans laquelle nous sommes depuis 18 mois renforce ces liens aux dépens d’un recrutement basé uniquement sur le mérite. Ces réflexes sont principalement culturels et si tous les dirigeants des entreprises du CAC 40 sont aujourd’hui des hommes ils n’imaginent pas confier la direction financière de leur entreprise à une femme, c’est un fait.
Les cycles courts dans lesquels nous évoluons aujourd’hui rendent beaucoup plus difficiles les initiatives audacieuses visant à intégrer une femme à un poste de direction générale. Ce besoin de résultat qu’implique la cotation sur les marchés financiers va pousser ces dirigeants à opter pour une « solution de facilité » en recrutant un homme, bien souvent représentatif d’une élite économique à la française.
Le risque qui se profile pour la sortie de crise est le renforcement de ces inégalités. On peut s’attendre à une pression accrue pour les entreprises et les possibilités de se différencier en intégrant des femmes aux directions des grandes entreprises plus rares.
Les seuls pays qui sont parvenus à faire évoluer les choses sont ceux qui ont fait le pari de légiférer comme en Scandinavie (en Norvège, près de 40% des membres de conseils d’administration des grandes entreprises sont des femmes). L’exemple de la population noire aux Etats-Unis a démontré qu’une politique de quotas pouvait bénéficier à la société et amener des changements qui sinon, auraient pris beaucoup plus de temps.
Délits d’Opinion : Selon un sondage publié par LH2 à l’occasion de la Journée de la Femme en 2009, un salarié sur deux jugeait que l’organisation de la société ne permettait pas aux femmes de réussir professionnellement aussi bien que les hommes. Selon vous, où se joue cette différence et d’où viendra le changement à l’avenir ?
Aude Zieseniss de Thuin : Tout d’abord il faut rappeler que ces perceptions reflètent une réalité profondément inégalitaire. Pourtant, une étude que nous avons réalisée avec McKinsey démontre que la présence féminine dans les structures dirigeantes d’une entreprise avait de nombreux effets bénéfiques à la fois au niveau du management que des résultats de l’entreprise.
Il faut donc accompagner la montée des femmes dans la hiérarchie des entreprises et c’est ce que nous essayons de faire au Women’s Forum for Economy and Society. L’idée du Women’s Forum n’est pas d’opposer hommes et femmes mais de démontrer que l’avis des femmes a un réel intérêt et que la complémentarité doit s’imposer comme le meilleur mode de gestion aujourd’hui.
Ces changements peuvent avoir lieu dans l’entreprise mais aussi au niveau local, c’est-à-dire dans la politique de proximité. Bien que l’on ait moins de femmes à des postes de ministres régaliens, on a atteint des niveaux record pour ce qui est des conseillers régionaux. La proximité des femmes avec les réalités et la vie de la cité pour reprendre une vieille expression leur donnent une perception fine des attentes et des besoins qu’exprime la population locale.